Trois « bénéfiques » pour bien passer l’hiver

Notre flore locale, qui souffre depuis longtemps d’une gestion très appauvrissante pour cause d’agriculture intensive et simpliste, couvre de plus en plus mal les besoins des abeilles, elle n’est pas adaptée au réchauffement climatique.

Les floraisons hivernales

Cet article porte sur le cœur de l’hiver : après la floraison du lierre qui a été le dernier fournisseur des stocks d’hiver et avant l’arrivée des pollens de noisetiers et autres qui vont accompagner en protéines les pontes des reines. Dans cet entre-deux normalement inactif, on constate avec le réchauffement climatique, des sorties de plus en plus courantes. Ce sont des déplacements couteux en énergie, en miel, qui ne sont pas compensés par des entrées équivalentes… C’est qu’en hiver notre flore usuelle prépare les floraisons printanières permettant des maturités fruitières estivales ou
automnales… logique pour une flore de climat tempéré froid, qui s’est rétablie après la dernière glaciation. Aucun de nos arbres ne fleurit en été…
Le lierre, qui fleurit en octobre, est une heureuse anomalie ! Il est un rescapé de la flore antérieure aux glaces, qui a pu survivre dans un recoin méditerranéen et en remonter vite et partout sur le territoire grâce aux oiseaux. Une autre rescapée étonnante, la viorne tin, dont il sera question ici, est aussi une de nos ‘’locales’’ à étrange floraison hivernale.

Viorne tin, Viburnum tinus
Viorne tin, Viburnum tinus

Les floraisons du cœur de l’hiver sont donc à chercher dans des flores issues de créations horticoles récentes, recherchées pour nos jardins, friands des rares floraisons hivernales. On trouve ainsi des floraisons de prunus (le japonais P. Subhirtella, le chinois P. Mume), de sarcococca, de viornes, de chimonanthe, de roses de Noël, ou encore celles d’arbustes comme les ajoncs.

En observant les abeilles dans des parcs et jardins, on peut les voir passer sur ces fleurs, en recherche de nectar principalement, (le pollen viendra plus tard pour la relance de ponte du printemps) mais on peut surtout constater qu’elles en plébiscitent certaines. Nous en retiendrons trois que nous appellerons les bénéfiques de l’hiver, tant elles ont de qualités !

La Viorne tin

La première ‘’bénéfique‘’ de l’hiver est sans conteste la viorne tin, Viburnum tinus, une plante toujours verte, méditerranéenne, rescapée de la dernière glaciation. Cette viorne a une longue floraison hivernale, de fin décembre à mi-mars, et accessoirement (mais c’est tout à fait primordial pour les jardiniers !) abrite toute l’année dans son feuillage une des plus riches et diversifiées microfaune d’insectes chasseurs, des phytoséides. Ils protègent la viorne, et ses voisines, des assauts d’insectes mangeurs de feuilles et autres suceurs de sève. Ces modestes insectes mènent des luttes invisibles, aux yeux des jardiniers, mais bien utiles, qui en font une « plante réservoir », comme disent les chercheurs (Distribution of acarodomatia and predatory mites on Viburnum tinus, Pia Parolin, Cécile Bresch, Marie M. Muller, Audrey Errard & Christine Poncet, Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Journal of Mediterranean Ecology, vol. 11, 2011).

Viburnum bodnantense
Viburnum bodnantense

En sus, c’est une rustique, adaptable à tous sols, résistante à la sécheresse, et offrant ses belles baies bleu noir aux oiseaux. Elle monte haut, à 4 mètres, mais supporte les fortes tailles et peut adopter un format de haie fine et carrée. Cette viorne est facile à trouver en pépinières, avec divers cultivars tous faciles à vivre.

Une autre viorne, la viorne d’hiver, Viburnum bodnantense, mérite d’être signalée et utilisée en jardin d’agrément. Il s’agit d’une création horticole galloise de 1935, obtenue en croisant deux espèces asiatiques, Viburnum fragans et Viburnum grandiflorum. C’est un arbuste caduc rustique (- 20°C) à joli feuillage cuivré au printemps. Les feuilles rougissent en automne suivies d’une étonnante floraison hivernale (fleurs légèrement odorantes groupées en ombelles, couleur crème lavée de rose vif) réunies en ombelles qui attirent les abeilles de décembre à février. Elle est plus décorative que notre viorne tin, mais me semble bien moins douée pour attirer les abeilles et surtout pour jouer à la protection biologique des jardins.

D’autres viornes sont mellifères mais fleurissent classiquement au printemps et en début d’été. L’apiculteur pourra mettre ses viornes tin devant ses ruches, en rideau protecteur, obligeant ses abeilles à monter vite pour rejoindre leurs espaces de butinage.

La Mahonia

Le ou plutôt les mahonias sont des arbustes rustiques, d’origine forestière, qui fleurissent en hiver. Leurs feuilles se présentent toujours vertes, pennées, piquantes. Les fleurs sont de petites clochettes jaunes, plus au moins parfumées, en épis (le mahonia hivernant développe des fleurs avec un parfum particulièrement délicieux pour nos narines humaines). Les fruits sont petits, violets à noirs et comestibles et les oiseaux les volent avec grand plaisir. Ils apportent pollen et nectar aux pollinisateurs : on y voit des abeilles et de lourds bourdons, qui sortent par des températures plus froides que les abeilles.

Mahonia aquifolium
Mahonia aquifolium

Une espèce est d’origine ouest-américaine, arrivée ici vers 1750 depuis l’Oregon, le Mahonia aquifolium, ou mahonia à feuilles de houx, des feuilles coriaces, larges et épineuses, ressemblants à celles du houx. D’un beau vert, elles se colorent de pourpre en hiver. Ce mahonia est de taille modeste, 1,5 à 2 m. Un adepte de l’ombre, il drageonne et s’étale lentement. Il fleurit jaune vif de fin janvier à mars… en épis compacts. Divers cultivars sont disponibles, le plus intéressant serait ‘‘Apollo‘‘ qui offre des épis plus lâches, jaune brillant et qui s’avère le plus précoce, fleurissant début janvier ! De façon générale, le M. aquifolium a un avantage pour l’espèce : il tolère tous types de sols, y compris les secs, sableux et accepte d’être dominé dans les sous-bois épais. À planter en lisière des ruchers.

Les autres mahonias intéressants sont des chinois de l’ouest, du Sichuan et du Yunnan. Ils sont plus grands et d’aspects plus “rigides“ que le précédent. Ils ont la même floraison en hiver, en longs épis jaune lumineux. Ses feuilles coriaces et piquantes se colorent (curieusement certaines branches, pas toutes !) en rouge vineux et tolèrent les sols de tous types, même lourds. Ils poussent lentement et sans soucis, et tolèrent la mi-ombre. Le choix est large, avec en particulier le Mahonia japonica × lomariifolia et le M. bealei. Le premier est un hybride intéressant pour sa vigueur, qui lui permet de dominer des massifs et des haies. Il est grand, de 3 à 5 mètres et s’établira lentement d’autant en largeur. Il fleurit précocement et longtemps, de mi-novembre à fin janvier, en longs panicules érigés et parfumés. Plusieurs cultivars sont faciles à trouver, dont ‘‘Charity‘‘, d’un beau jaune soutenu (dommage qu’il ne soit pas parfumé). Le M. bealei, lui, est plus modeste, 2 mètres, avec un port moins rigide. Il fleurit avantageusement un peu plus tard, et longuement aussi, de quatre à cinq semaines entre janvier et mars, selon l’année et l’exposition, avec de longs épis jaune citron pouvant mesurer jusqu’à 30 cm, et un agréable parfum. Ces mahonias peuvent être disséminés en haies ou lisières, ou traités en îlots regroupant plusieurs pieds, d’un très bel effet, alors que la flore locale dort !

Mahonia bealei
Mahonia bealei

Le chèvrefeuille d’hiver

Dans la famille des chèvrefeuilles, il y a les grimpants, les plus communs chez nous, et les arbustifs, dits aussi camérisiers, dont certains Asiatiques sont réellement étonnants, par la taille, comme le Lonicera Maackii, le chèvrefeuille de Maack, un arbrisseau robuste de 5 m, à floraison printanière très mellifère, et celui dont il va être question ici, le Chèvrefeuille d’hiver, L. fragantissima, bien nommé car immanquable par sa floraison hivernale longue et parfumée. Un chinois au vaste territoire d’origine, du nord frontalier avec la Corée à l’ouest himalayen, forcément rustique, -25°C, vigoureux et facile à vivre ici. Il est arrivé en Europe, vers 1860, grâce à l’explorateur botaniste écossais Robert Fortune, avec une belle moisson de plantes horticoles (des pivoines, des chrysanthèmes…).

Chèvrefeuille d’hiver
Chèvrefeuille d’hiver

L’écossais l’a récupéré dans ses pérégrinations motivées par la recherche d’arbres à Thé qu’il finalement récupéré et déplacé en Inde pour le plus grand profit de la Couronne anglaise. Ce chèvrefeuille est un petit arbuste, de 3 à 4 m en tous sens s’il n’est pas taillé, caduque ou semi-persistant, buissonnant, à port étalé, doté de petites fleurs de 0,5-1 cm de long, tubulaires, blanc crème, modestes mais très odorantes. Les fruits sont de minuscules baies rouge pâle qui plaisent aux oiseaux. Pour l’apiculteur, l’intérêt est une période de floraison longue, de janvier à mars, extrêmement attractive, parfum et nectar y sont forcément pour quelque chose !

Lonicera fragantissima
Lonicera fragantissima

Un cousin de celui-ci est aussi intéressant, plus modeste en taille finale, mais tout aussi attractif pour les abeilles, le Lonicera standishii, à fleurs
parfumées et teintées de rose mauve, avec de longues étamines jaune brillant de 1,5 cm. Enfin pour ceux qui ont plus d’espace, il existe l’hybride (naturel) entre ces deux Chinois, le Lonicera x purpusii, un robuste, montant à 5 m. À planter en tous sols, sauf mouillés, près d’un passage pour profiter de leur parfum.


Article rédigé par Yves Darricau dans le neuvième numéro de la revue Abeilles en liberté.

4 Comments

  1. Bonjour, merci pour cet article très intéressant et ces solutions naturelles pour permettre aux abeilles de s’adapter aux conditions climatiques actuelles évolutives. Une chose me surprend : tous les végétaux présentés proviennent d’Asie. N’aurait-il pas d’espèces indigènes, plus indiquées ? Merci d’avance pour vos éclaircissements.
    Cordiales salutations

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