Les Pensées Sauvages : Bonjour Jacques, pouvez-vous présenter succinctement votre parcours ?
Jacques van Alphen : Je suis né en 1948. Au terme de mes études secondaires, j’ai choisi d’étudier la biologie à l’université de Leiden. Lors de mon passage en maîtrise, je me suis spécialisé dans l’écologie et la sociologie des plantes. J’ai ensuite obtenu un poste d’assistant au département d’écologie animale, où j’ai passé un doctorat portant sur l’étude du comportement des guêpes parasitoïdes. A l’issue de ce dernier, j’ai poursuivi mes recherches sur ce sujet et sur l’application de ces connaissances dans la lutte biologique contre les ravageurs en Afrique de l’Ouest. J’ai également commencé à travailler sur la spéciation des poissons africains du lac Victoria. De 2007 à 2009, j’ai été titulaire d’une chaire d’excellence de l’Union Européenne à l’université de Rennes. En tant que professeur émérite, j’ai ensuite travaillé sur les tigres au Népal et enfin sur les abeilles.
LPS : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ? Et pourquoi une traduction française après les deux versions précédentes, l’une néerlandaise et l’autre anglaise ?
JvA : À l’occasion d’une sollicitation de mes conseils sur un projet, je me suis plongé dans la littérature spécialisée relative aux abeilles mellifères. J’ai alors constaté qu’en appliquant les théories évolutionnistes et écologiques, je pouvais parfois proposer une interprétation différente des recherches sur la résistance des abeilles aux maladies. Cela m’a également permis de formuler des interrogations qui n’avaient pas encore été soulevées, comme celle de l’abandon du nid par la reine mère lors de l’essaimage. J’ai également remarqué qu’en apiculture, certaines croyances ne reposaient sur aucune base scientifique, tel le postulat selon lequel les sous-espèces d’abeilles mellifères exotiques et leurs hybrides seraient meilleures que l’abeille noire originaire d’Europe de l’Ouest. Je ne voulais pas assister, impuissant, à l’anéantissement d’une espèce indigène dont l’évolution indépendante remonte à environ un million d’années, en raison de l’importation d’abeilles exotiques.


En outre, de nombreux apiculteurs français ne maîtrisant pas la langue anglaise, ils ont donc du mal à se familiariser avec la littérature apicole anglo-saxonne. Résidant en France une grande partie de l’année, et fréquentant de nombreux apiculteurs avec qui j’ai plaisir à échanger, je voulais pouvoir partager avec eux mes connaissances sur les abeilles mellifères.
En quoi votre propos se distingue-t-il des autres livres sur les abeilles ?
JvA : La plupart des livres consacrés aux abeilles mellifères traitent en fait d’apiculture. Mon ouvrage, quant à lui, porte sur la biologie de l’abeille mellifère et sur la manière dont elle survit et s’adapte.
Quelles sont les réactions du milieu apicole vis-à-vis de votre approche ?
JvA : Les réactions vont de l’hostilité à un accueil très positif. Les jeunes apiculteurs, en particulier, sont conscients des problèmes liés à la biodiversité. Ils aimeraient élever des abeilles de manière durable et trouvent dans mon livre toutes les connaissances nécessaires pour y parvenir. Certains apiculteurs plus âgés ont du mal à prendre en considération les faits scientifiques montrant qu’apiculteurs et abeilles ont souvent des intérêts contradictoires.

Vous avez tout récemment donné une conférence en Irlande, pays où l’abeille noire est encore vivace et présente à l’état sauvage : la vision de l’abeille mellifère y est-elle différente qu’en France ?
JvA : En Irlande, plus de 90 % des abeilles mellifères sont encore des abeilles noires. Comme ailleurs en Europe, elles sont également menacées par l’importation de sous-espèces exotiques. Le gouvernement irlandais lui-même est conscient de la valeur de l’abeille noire indigène et de la responsabilité qui incombe aux irlandais de préserver leur sous-espèce indigène. En outre, l’Irlande a l’avantage d’être une île ; elle peut donc protéger ses abeilles en interdisant l’importation d’espèces exotiques et en éliminant les abeilles hybrides de la population.
En France, la situation est moins favorable. Les abeilles noires sont encore présentes dans de nombreux endroits, mais la proportion d’allèles exotiques dans leurs populations est beaucoup plus élevée qu’en Irlande. De plus, les abeilles noires en France ne peuvent actuellement être protégées que dans les conservatoires. En conséquence, il faut espérer que de plus en plus d’apiculteurs français opteront pour l’abeille noire et que des interdictions locales des sous-espèces exotiques seront mises en place.


Thomas Seeley considère que les abeilles mellifères sont semi-domestiques. Qu’en pensez-vous ?
JvA : En lisant Thomas Seeley, j’ai plutôt l’impression qu’il pense que les abeilles mellifères ne sont pas réellement domestiquées. C’est également mon avis. Le problème est qu’il n’existe pas de définition généralement acceptée de ce qu’est la domestication. Voici la définition que nous utilisons aux Pays-Bas au ministère de l’agriculture : « une population domestiquée s’est adaptée à la vie au service de l’homme par le biais d’une sélection dirigée et non dirigée. Cette sélection s’est étendue sur de nombreuses générations et a entraîné des différences héréditaires majeures par rapport aux populations naturelles. Une population domestiquée ne peut généralement plus survivre de manière indépendante dans la nature ».
Les abeilles mellifères, y compris les populations sélectionnées pour les caractéristiques souhaitées par les apiculteurs, cherchent leur nourriture dans le milieu naturel. De plus, les populations sélectionnées d’abeilles de race ne pouvant plus faire partie d’une grande population bien mélangée, la nécessaire variation héréditaire ne peut plus être maintenue (cf. chapitre 10). Par conséquent, la domestication des abeilles mellifères est impossible.
D’autres recherches sont-elles venues étoffer l’héritage scientifique du travail de Thomas Seeley ?
JvA : Thomas Seeley a réalisé un travail remarquable qui ne sera pas égalé de sitôt sur le comportement des abeilles, en s’appuyant sur les travaux de von Frisch et de Lindauer. Il a également effectué des recherches exceptionnelles sur les abeilles mellifères sauvages dans la forêt d’Arnot. Dans notre cas, l’inconvénient de ce travail est que les abeilles mellifères d’Amérique du Nord ont été introduites par l’homme. Il serait merveilleux que les sous-espèces européennes soient étudiées de la même manière, car il reste encore beaucoup à découvrir sur les adaptations locales de ces dernières. Pourtant, les abeilles mellifères sauvages font déjà l’objet de nombreuses et prodigieuses recherches. Je pense notamment à celles portant sur les abeilles mellifères en Afrique, aux études sur d’autres espèces d’abeilles en Asie ainsi qu’à celles, récentes, en Europe, sur les abeilles sauvages.
Propos recueillis par Adrien Pierrin et Adrian Depaul pour Les Pensées Sauvages éditions.


Au risque de me faire lyncher voir exclure du site, l’apiculture non professionnelle doit être … INTERDITE ! En effet, l’explosion ces dernières années de ce type d’apiculture a accentué la pression sur la biodiversité. Au détriment de la faune et de la flore sauvage locale. Et bien souvent des ruchers eux mêmes. NB : des études françaises ont démontré cet impact sous estimé aussi bien en milieu naturel protégé qu’urbain ! Bien à tous et surtout aux gros consommateurs de miel comme chez nous.
Je ne vais pas discuter votre propos, je ne discute pas avec les extrémistes.
Il me faut cependant corriger une fausse information, les ruchers « amateur » sont beaucoup moins nombreux de nos jours que dans ma jeunesse et probablement étaient ils pls nombreux encore du temps de la jeunesse de mon grand père quand le miel était moins cher que le sucre!
Pour info ma jeunesse ce sont les années 70 ou on trouvait des ruches de pailles dans énormément de fermes, la jeunesse de mon grands père ce sont les années d’avant la grande guerre.
Notre fournisseur de miel, une apicultrice bretonne, si elle est contente de l’engouement concernant l’apiculture, les pros comme elle, doivent subir plusieurs concurrence = 1) miel frelaté ( ex avec engraissage ) 2) ravage insecticides industriels 3) concurrence apiculture non pro. Ce dernier point est important car soupçonné d’être en plus un des principaux vecteurs de développement de pathologies genre acariens, virus, … Bref, ceci est le témoignage rapporté d’une pro que nous suivons depuis plus de 20 ans.
Très bien. J’ai diffusé votre document aux quelque 300 adresses de mon mailing-list.
Conservatoire de biodiversité La Haie Fondue
02120 Proisy
Merci Jean-Claude pour votre soutien !