Les méga-enjeux du microbiome des abeilles mellifères

Article paru en Avril 2022 dans le numéro 14 de la revue Abeilles en liberté.

Microbiome et microbiote

C’est à la fin du XIXe siècle que l’intérêt actuel pour les probiotiques trouve son origine. En effet, les découvertes de deux microbiologistes du sol, Beijerinck et Winogradsky, mènent à un changement de paradigme : non seulement on reconnaît l’omniprésence des micro-organismes dans l’environnement naturel mais aussi leurs actions bénéfiques sur leurs hôtes (animaux ou végétaux !). Il devient progressivement évident que ces micro-organismes ne vivent pas seuls mais en communautés complexes qui assurent des fonctions physiologiques majeures pour la vie et la santé de leurs hôtes. À la fin des années 80, une équipe de chercheurs travaillant sur les rhizosphères définit le microbiome comme l’ensemble des communautés de micro-organismes, de l’environnement dans lequel ils interagissent et de l’ensemble de molécules et de métabolites produits pendant ces interactions. Le microbiome forme donc un véritable écosystème. Le microbiote, par contre, représente l’ensemble des micro-organismes présents dans l’écosystème que constitue le microbiome. Les phages, les virus, les plasmides, les prions et l’ADN libre n’étant pas considérés comme des organismes vivants, ne sont pas compris dans le microbiote. La plus grande diversité de microbiotes se trouve dans les sols de la planète.

À quoi sert un microbiome ? 

L’intérêt pour le microbiome humain, et en particulier pour son microbiome intestinal, se développe très rapidement à partir du XXIe siècle. On sait aujourd’hui que la complexité du microbiome intestinal est extrêmement plus élevée que tous les processus physiologiques du corps réunis ! Les micro-organismes présents dans ce microbiome fournissent un travail essentiel que le corps n’a pas dû développer lui-même (synthèse des acides aminés essentiels, de vitamines, d’hormones ; digestion de la nourriture ; production d’antibiotiques et d’enzymes ; protection contre les agents pathogènes ; modulation de l’immunité) pour prendre en charge ou faciliter des processus de vie fondamentaux. La diminution de la diversité et de la quantité de ce microbiote intestinal est à l’origine de maladies chroniques, auto-immunes et psychologiques diverses. Pour assurer une diversité maximale, il faut une diète qui apporte l’ensemble des nutriments nécessaires à la croissance des bactéries (et donc provenant d’aliments qui ont pu se développer sur des sols riches de biodiversité) et qui soit aussi dépourvue de pesticides et d’antibiotiques.

On réalise finalement que les micro-organismes présents dans chaque hôte et dans chaque écosystème ont la capacité d’interagir les uns avec les autres et d’échanger du matériel génétique.

L’agriculture s’en mêle 

Le secteur de l’agriculture est en train d’investir massivement dans la recherche sur les microbiomes. Son objectif  ? Développer une technologie destinée à remplacer l’usage massif des produits toxiques partout sur la planète. S’intéresser au bien-être de l’abeille mellifère n’était donc qu’une question de temps vu la dégradation significative de l’état de santé de cette espèce mise à mal par les pesticides, les parasites et la diminution de la biodiversité.

Développement du microbiome chez l’abeille  

Quand la jeune abeille sort de sa cellule, son tube digestif est vierge de tout microorganisme. Il se fait rapidement ensemencer par les échanges trophallaxiques, par les déjections sur les rayons et par la consommation de pollen frais. Après 4 jours, la flore intestinale de la jeune abeille se stabilise. Il se compose d’environ 1 milliard de bactéries classées en 9 familles (voir tableau). Celles-ci constituent 95 % de son microbiote. C’est la signature microbiotique de l’espèce qu’on retrouve partout sur la planète. Au sein de cette signature, chaque colonie a un profil spécifique et à l’intérieur de chaque colonie des variations existent entre les groupes d’abeilles. Leur microbiome assure des fonctions essentielles telles que : 1. Renforcement de la résistance aux agents pathogènes par la production de peptides anti-bactériens (par exemple la bactérie Acinetobacter sp.), 2. Freiner la croissance de l’agent causal de la loque américaine, 3. Digestion du pollen et du nectar et 4. Production des acides gras.

Comme les bactéries du microbiote de l’abeille proviennent majoritairement du pollen et du nectar des fleurs butinées (des apports moins importants se font aussi via l’air et les substrats sur lesquels se posent les butineuses), la diversité et la richesse des ressources mellifères de l’environnement des colonies sont des facteurs essentiels au maintien de leur bonne santé. Il n’est donc pas étonnant que le microbiome des colonies soit le plus riche au printemps et au début de l’été, avec des variations régionales bien sûr. Au sein de chaque colonie, le microbiote des abeilles va varier en fonction de leur diète et de leur durée de vie : les nourrices et les abeilles d’hiver ont un microbiote plus varié et deux fois plus lourd que les butineuses, les mâles ou la reine. En effet, les premières mangent du pollen en grandes quantités pour alimenter leurs glandes hypopharyngiennes afin de nourrir les larves et la reine tandis que les secondes doivent assurer la survie de la colonie pendant les longs mois d’hiver.

Si on choisit l’option de la santé durable des abeilles, il n’y a qu’une voie possible : celle de la restauration des écosystèmes dans lesquels évoluent les colonies

Touche pas à mon microbiote !

Depuis plus de 20 ans, la vie des colonies d’abeilles s’écoule de moins en moins comme un long fleuve tranquille. En effet, une accumulation de stress physiologiques met à mal leur microbiome et donc leur capacité à résister aux maladies et aux parasites. Parmi ces stress, on retrouve tous les produits toxiques (pesticides et anti-acariens compris), les agents pathogènes, la pauvreté des ressources florales et les sirops de sucre.

Résultat : la dysbiose s’installe dans le système digestif des abeilles. La dysbiose se caractérise par une diminution 1. de la quantité totale de bactéries (jusqu’à trois fois moins suite aux antibiotiques et aux pesticides) ; 2. de la présence de certaines bactéries essentielles pour les abeilles telles S. alvi et Bifidobacterium sp. et 3. par les changements dans les proportions de groupes et de sous-groupes des micro-organismes du microbiote qui modifient l’ensemble des interactions entre les bactéries du système digestif. 

Un rôle tout à fait inattendu du microbiome des abeilles a été mis en évidence en 2020 par des chercheurs en Argentine. Ils ont montré que les bactéries présentes dans l’intestin de l’abeille interviennent dans la formation des molécules cuticulaires qui transmettent l’odeur de la colonie et permettent donc aux abeilles d’une même colonie de se reconnaître entre elles. Il reste à démontrer si la dysbiose modifie l’odeur de la cuticule et empêche donc l’identification des membres de la colonie. 

La ruée sur les probiotiques pour abeilles

En médecine humaine, la prise de probiotiques est le traitement le plus couramment prescrit pour restaurer un microbiote perturbé ou en partie détruit. Les marchés sont à l’image inverse des microbiotes : florissants ! C’est donc la première idée qui a été testée sur les abeilles pour les soigner ou en prévention pour leur assurer une meilleure santé.

Plusieurs combinaisons de bactéries ont été données et les résultats varient. Dans le pire des cas, les probiotiques ne changent pas les paramètres de santé de la colonie. Dans le meilleur cas, ils augmentent la résistance des abeilles aux agents pathogènes les plus communs, tels ceux responsables de la nosémose et de la loque américaine et européenne. D’autres effets ont été observés comme une augmentation de la taille des glandes cirières, un accroissement de la population dans les colonies traitées et une production de miel plus abondante. Ces résultats sont évidemment encourageants et on ne peut que se réjouir de pouvoir ramener des abeilles à la santé et d’augmenter leur vitalité avec un produit qui, à première vue, ne semble avoir que des effets bénéfiques. Est-ce l’unique voie ? 

Si on choisit l’option de la santé durable des abeilles, il n’y a qu’une voie possible : celle de la restauration des écosystèmes dans lesquels évoluent les colonies. C’est par les interactions avec les micro-organismes de leur environnement que les abeilles préservent l’équilibre de leur microbiome. Détoxifier cet environnement et en accroître la biodiversité sans compromis devrait être LA priorité de tous les amoureux des abeilles et des pollinisateurs. Le rêve partagé par un grand nombre d’entre eux est de les laisser vivre en intervenant le moins possible. C’est encore à notre portée.  « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde» écrivait Margaret Mead. Cela est plus que jamais d’actualité.

Bibliographie

  • The gut microbiome defines social group membership in honey bee colonies, Vernier, C.A. et al., Sci. Adv. 2020; 6
  • Gut microbiota structure differs between honeybees in winter and summer, Lucie Kešnerováet al., The ISME Journal 14, 801–814 (2020)
  • Probiotic development for bees: analysing gut bacteria in healthy bees Murali Nayudu August 2021
  • Resistance and Vulnerability of Honeybee (Apis mellifera) Ana Cuesta-Maté et al., Gut Bacteria to Commonly Used Pesticides Frontiers in Microbiology September 2021
  • The Bacterial Communities Associated with Honey Bee (Apis mellifera) Foragers, Vanessa Corby-Harris et al, Plos One, April 2014 | Volume 9 | Issue 4
  • Novel probiotic approach to counter Paenibacillus larvae infection in honey bees. Daisley, B.A., Pitek, A.P., Chmiel, J.A. et al. ISME J 14, 476–491 (2020).
  • Beneficial Effects of Bacillus subtilis subsp. subtilisMori2, a Honey-Associated Strain, on Honeybee Colony Performance D. C. Sabaté, et al., Probiotics and Antimicrobial Proteins volume 4, pages 39–46 (2012)
  • Effets des probiotiques sur le microbiote intestinal de l’abeille mellifère (Apis mellifera) et sur la performance des colonies au printemps en climat nordique, Mémoire de Naomie Bleau, 2020
  • The impact of human activities and lifestyles on the interlinked microbiota and health of humans and of ecosystems, Lucette Flandroy, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969718303413#!
  • Functional diversity within the simple gut microbiota of the honey bee; Engel P. et al. June 2012 Proceedings of the National Academy of Sciences 109(27):11002-7

3 Comments

  1. C’est incroyable de voir comment les probiotiques peuvent aider les abeilles! 🐝 Quelle avancée intéressante dans la recherche!

  2. Les probiotiques peuvent être essentielles… Enfin nous nous orientons sur une direction qui oeuvre pour redonner des défenses immunitaires ….

Les commentaires

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