Interview et propos recueillis par Nicolas Bérard pour le journal « L’âge de faire », n° 142 / juin 2019.
Il faut faire confiance à la nature
Vous essayez de mettre en place un maillage de « ruches de biodiversité ». Quel en est le concept ?
Il y a encore pas mal d’essaims vivant à l’état sauvage dans la nature, et on a observé qu’ils se portaient beaucoup mieux que nos ruches destinées à la production. En fait, on s’aperçoit que plus on s’occupe des abeilles, plus on met le nez dans la ruche, et plus elles sont fragiles et le phénomène d’effondrement des colonies est important. L’idée est donc de prendre le contre-pied de l’apiculture de production, pour offrir aux abeilles des ruches où elles vivent tranquillement. Ces ruches sont des espaces de liberté, où elles sont toutes seules : elles peuvent se régénérer, essaimer, et les phénomènes de sélection naturelle peuvent à nouveau jouer leur rôle.
L’apiculture de production ne le permet pas ?
Dans l’apiculture, la sélection se fait toujours dans un souci de production, jamais pour renforcer la réponse immunitaire de l’abeille. L’effondrement des colonies d’abeilles est causé par un ensemble de facteurs, et parmi eux, il y a les pratiques apicoles. Elles ont un impact extrêmement important sur la fragilité génétique des abeilles et sur la faiblesse de leur système immunitaire. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles les abeilles ne parviennent plus à s’adapter. Quand est apparu le varroa, les abeilles sauvages, comme les autres, ont été frappées de plein fouet. Il y a eu une casse énorme, comme dans toute sélection naturelle, sans doute de l’ordre de 80 à 85%. Mais celles qui ont survécu se sont adaptées à ce parasite, alors que les apiculteurs conventionnels sont toujours obligés de traiter chimiquement leurs ruches, avec des résultats éloquents : des populations de varroa de plus en plus résistantes et des abeilles de plus en plus fragilisées.
En fait, il faut faire confiance à la nature. Et nous, c’est le pari que nous faisons, en encourageant tout un chacun, y compris les apiculteurs, à installer chez lui des ruches de biodiversité. À part les producteurs industriels, nous ne sommes pas opposés à l’apiculture. Ruches de production et ruches de biodiversité doivent cohabiter, il ne faut pas s’en priver. Un scientifique américain considère que, pour que la situation s’inverse au niveau de la génétique des abeilles, il faut que chaque apiculteur, professionnel et amateur, ait à peu près 20% de ruches de biodiversité dans le territoire qu’il occupe pour récolter des essaims, et renouveler son cheptel avec des essaims qui ont une certaine dynamique et qui ont développé leur résistance.
Comme pour l’agriculture, il existe donc une apiculture industrielle, avec les mêmes travers ?
Complètement. Sauf que l’intensification de l’apiculture s’est faite avant celle de l’agriculture, au milieu du XIXe siècle. À cette époque, Charles Dadant, un ingénieur français exilé aux États-Unis, a inventé la ruche carrée à cadres qui porte son nom. C’est un peu l’équivalent du tracteur pour l’agriculture : un outil pour augmenter la production et faciliter le travail de l’apiculteur. Ainsi, dès le début du XXe, les exploitations apicoles ont pu atteindre des tailles très importantes, avec 700, 800 ruches – même si aujourd’hui, c’est encore pire, les très grandes exploitations atteignant 2 000 à 3 000 ruches.
Dans cette optique, la ruche Dadant présente de nombreux avantages : grâce aux cadres mobiles que vous pouvez sortir de la ruche, vous pouvez récolter très facilement le miel, puis utiliser un extracteur pour le faire sortir ; vous pouvez diviser facilement les ruches en deux pour multiplier votre cheptel ; ces ruches permettent aussi la transhumance : certains apiculteurs vont ainsi faire trois à quatre récoltes par an, sur des territoires différents ! On va provoquer un déplacement géographique brutal, quatre fois par an, pour profiter de miellées différentes : on ira sur le colza, puis sur l’acacia, puis on fera faire 500 km aux abeilles pour aller sur la lavande, et à l’automne on les mettra sur la bruyère. Vous imaginez le stress et la fatigue des colonies ! Pour elles, c’est difficilement surmontable. Et comme on récolte leur miel, bien entendu, elles n’ont plus de réserves, et on est donc obligés de les nourrir avec du sucre.
Ces ruches ont aussi été conçues pour être de plus grand volume. Une petite ruche en paille pouvait produire entre 5 et 10 kilos de miel. Une ruche Dadant, dans les bonnes années (70, 80), pouvait produire jusqu’à 80 kg ! Ça a bien fonctionné pendant un temps, et on a été aveuglés par ces résultats. Exactement comme dans l’agriculture.
Là encore, on ne peut pas s’empêcher de faire le parallèle avec l’élevage intensif…
Je veux préciser que je parle d’apiculture intensive. Il existe de nombreux apiculteurs en bio ou en biodynamie qui ont des pratiques beaucoup plus respectueuses de l’abeille. Mais dans les grandes exploitations, oui, on peut tout à fait parler de maltraitance animale. On ne respecte plus la biologie de l’abeille. Un exemple : la reine. C’est la mère de la colonie, son renouveau, sa génétique…
Elle est extrêmement importante. Mais dans les ruchers de production, on l’ampute d’une aile pour l’empêcher d’essaimer, et on la tue désormais au bout d’un an pour la remplacer par une plus jeune, qui vient souvent d’Argentine ou d’Europe de l’Est, parce qu’elle est censée pondre plus. L’ancienne reine, elle, a été épuisée, on l’a nourri artificiellement pour la faire pondre 8 mois sur 12 ! Dans une ruche de biodiversité, à l’état naturel, si elle travaille trois ou quatre mois dans l’année, c’est le maximum. Et ainsi, elle peut vivre 6, 7 ans, voire plus.
Ces ruches de biodiversité incitent donc aussi à faire évoluer notre rapport à l’abeille ?
L’abeille est un médiateur fabuleux, parce que les gens ont une grande sympathie pour elle. Mais on l’a trop longtemps considérée comme une usine à miel. Il ne faut plus la voir comme une bête de production. Son rôle premier n’est pas de faire du miel pour les apiculteurs, mais de polliniser la nature pour qu’elle se régénère. D’ailleurs, installer une ruche de biodiversité chez soi ne sert à rien si l’on n’arrête pas d’utiliser des pesticides, y compris dans les ruches, et si on ne s’occupe pas de leur alimentation naturelle.
Il faut semer des fleurs mellifères, planter des arbres mellifères, partout où on le peut… En faisant ça, non seulement on aidera nos abeilles, mais aussi toutes les abeilles sauvages, les bourdons, tous les autres pollinisateurs, hannetons, coléoptères, lépidoptères (papillons), etc. Un truc tout bête : laisser les pissenlits et les pâquerettes se développer dans son jardin, ce sont deux fleurs mellifères super importantes. Et si en plus on arrête de tondre sa pelouse chaque semaine, alors on pourra se féliciter d’aider les pollinisateurs si précieux. Ce sont des gestes simples, à la portée de tous, que l’on ait ou non des abeilles, et qui sont très bénéfiques à la biodiversité. C’est en changeant notre regard sur l’abeille et la nature en général qu’on fera bouger les choses.
Les bonus
Quelques chiffres :
On estime à 75 % la production mondiale de nourriture qui dépend des insectes pollinisateurs, dont les abeilles domestiques et sauvages. Sans elles, nous pourrions toujours cultiver du blé, des lentilles et du riz, mais nous aurions beaucoup plus de mal à obtenir des pommes, des avocats ou des amandes. L’ONU a estimé entre 235 et 577 milliards de dollars les services rendus par les insectes pollinisateurs.
A Cuba, le miel est (forcément) bio :
Le miel est devenu une véritable spécialité cubaine : l’île en produit plus de 7000 tonnes par an, dont la totalité peut être certifiée bio. Merci qui ? Merci les États-Unis ! Le pays de l’oncle Sam, en plaçant Cuba sous embargo depuis 1962, a « privé » le territoire des acaricides, antibiotiques de synthèse et pesticides. Les apiculteurs ont donc mis au point des méthodes manuelles pour lutter contre le varroa et, dans le même temps, ce sont les abeilles les plus résistantes à cet acarien qui ont été sélectionnées. Les fleurs butinées sont pour la plupart exemptes de glyphosate. Parallèlement, ne pouvant importer que difficilement des médicaments, les Cubain·es ont énormément développé l’apithérapie.
Merci beaucoup à Bernard Bertrand pour toutes ces informations .
Je consomme du miel » d’apiculteur » et voire bio , tous les jours et je recherche le meilleur …
J’ai même trouvé un couvent dans l’Ain qui garde du miel pour la nourriture des abeilles l’hiver pour éviter l’apport de sucre ( une question que je pose souvent aux apiculteurs ! ) .
Cependant , vous me donner des scrupules … Je n’avais vu la vie de l’abeille sous cet angle ( surproduction , fatigue de la transhumance ) .
Quant aux pesticides … il faut changer notre mode de consommation . La solution est entre nos mains.
Il n’ a rien à attendre » d’en haut » … trop d’intérêts !!
Mais l’homme deviendra-t-il raisonnable ????
Bonjour, je suis tout a fait d accord avec vous ,il suffirait de semer et de replanter des fleurs et des arbres de nos régions,mais personnellement je suis de la manche et quand je vois le prix des graines divers et variées , ou bien le prix des arbres, je pourrai ensemencer entre 5000 et 7000 m2 facilement,mais les prix étant ce qu ils sont ,on trouve vite ces limites ,en sachant que le voisin de toute façon fera ces traitements habituels , annuels et répétés.Cordialement
bonjour
je souhaite connaitre des adresses d’apiculteurs qui travaillent avec des abeilles noires dans mon secteur c’est à dire :Gers Haute Pyrènees et qui pourraient vendre des essaims
merci carole favaretto
Tres intéressant article, merci 😊