Les cartes polliniques, sculptures olfactives et peintures végétales de Bärbel Rothhaar – 3e volet

Outre les points de repère utilisés par les abeilles pour naviguer au sein de ce paysage urbain, cette carte créée par Bärbel Rothhaar intègre de façon changeante au fil des saisons les ressources qu’y exploitent les butineuses (pollen, nectar, propolis et eau). En arrière-plan, les sculptures olfactives en céramique imaginées par l’artiste, lesquelles favorisent la compréhension de la réalité voulant que la mémoire et le sens de l’olfaction sont chez les abeilles comme chez les humains intimement liés.  

Les antennes des abeilles comprennent au moins 130 types différents de récepteurs olfactifs leur permettant, par exemple, de reconnaître une congénère de nid ou de différencier des fleurs de diverses origines botaniques. Les visiteurs de fleurs généralistes comme les abeilles mellifères, les bourdons et d’autres espèces d’abeilles sauvages « doivent choisir de manière adaptative entre plusieurs espèces végétales, toutes différentes par leur couleur, leur motif et leur parfum ». Lorsque ces pollinisateurs « survolent une prairie, ils peuvent rencontrer séquentiellement ou simultanément des fleurs de plusieurs espèces différentes à chaque seconde et doivent jongler avec plusieurs souvenirs (provenant de différentes modalités sensorielles), certains issus de l’expérience immédiatement précédente et d’autres d’un passé plus lointain. » « Les recherches récentes sur la dynamique avec laquelle les abeilles stockent, gèrent et récupèrent leurs souvenirs ont toutes des implications fondamentales sur la façon dont les pollinisateurs choisissent entre les fleurs et, par conséquent, sur l’évolution florale1. »

Les plantes qui prodiguent des pollens aux abeilles sont par des collectifs humains (habitant.e.s, écoles…) et sous la houlette de Bärbel Rothhaar localisées, identifiées à l’aide d’une application dédiée, puis représentées sur la carte pollinique créée par la plasticienne par des morceaux de tissu coloré découpés, chaque couleur de tissu représentant une origine botanique de pollen spécifique.

Spore Initiative

Spore Initiative est une fondation allemande née en 2020, qui poursuit des objectifs à but non lucratif liés aux arts et à la culture. Active dans la programmation et les coproductions à Berlin et à l’étranger, son travail philanthropique repose sur maints processus collaboratifs. Fondée et financée par Hans Schöpflin, philanthrope et entrepreneur, son point d’ancrage institutionnel se trouve à Berlin-Neukölln, dans un bâtiment conçu par AFF Architekten.

Spore Initiative facilite des projets culturels à la croisée de la justice climatique, de la régénération et de l’éducation écologiques, en dialogue avec des protecteurs des terres des pays du Sud et du Nord. Plateforme d’échange, de dialogue et d’apprentissage, la Maison des Spores de Berlin alimente les terrains d’entente reliant des communautés, des organisations et des personnes parfois géographiquement ou culturellement éloignées les unes des autres, mais liées par des pratiques de protection des terres.

Spore a commencé son voyage au Yucatán (Mexique), articulé autour de longues conversations avec des personnes telles que Pedro Uc Be et d’initiatives telles que celles entreprises par l’Escuela de Agricultura Ecológica U Yits Ka’an2 et le collectif maya Suumil Móokt’an3 sur des thématiques et usages comme la défense du territoire, l’agriculture milpa4, le Solar maya5, la méliponiculture (élevage des abeilles sans dard ou méliponines [tribu des Meliponini, Apidae] locales), la médecine traditionnelle et d’autres pratiques de soins interspécifiques.

Certains de ces dialogues ont conduit à la coproduction d’outils culturels bilingues (espagnol et maya yucatèque) créés collectivement grâce à des processus longs et à des méthodes d’ateliers collectifs qui virent l’engagement de différents groupes d’âge et d’une belle variété de praticiens : nutritionnistes, agriculteurs, apiculteurs, illustrateurs, poètes, biologistes, archéologues, traducteurs, artisans, animateurs de radio communautaire et cinéastes.

Jusqu’à présent, les outils socioculturels comprennent notamment un jeu de société, un livre illustré, un film d’animation, des espaces communs, plusieurs ateliers impliquant plusieurs générations, une série de jeux audio, des campagnes d’affichage, des dépliants pédagogiques. Ces dialogues et coproductions continus et intégrés au sein d’un réseau croissant de partenariats guident les efforts philanthropiques de Spore vers le développement de cultures du care (soin) à Berlin comme ailleurs.

Le bâtiment multifonctionnel qui abrite Spore comprend une bibliothèque, un studio, une maison d’hôtes, des espaces d’exposition, un auditorium, plusieurs espaces servant d’ateliers, un café, ainsi qu’un jardin pédagogique dans la cour.

Les programmes d’activité élaborés à Berlin naissent des dialogues noués par l’équipe de Spore avec divers partenaires. Multilingues, ils comprennent des expériences variées telles que le nourrissage de la vie des sols et des plantations d’accompagnement, des séances de cuisine au fil des saisons, l’écriture sur argile, ainsi que des conférences, expositions, performances, projections, lectures et débats.

Les contributeurs et collaborateurs à ces usages et partages comprennent des producteurs de denrées alimentaires, des jardiniers, cuisiniers, guérisseurs, praticiens culturels, illustrateurs, artisans, scientifiques, pédagogues, apiculteurs et conteurs.

Des enfants aux personnes âgées, cette fondation s’emploie à ce que les participants aux programmes de Spore et les contributeurs actifs porteurs de connaissances diverses se rassemblent autour du sens des responsabilités, de la réciprocité, du respect de la vie et de ses complexes réseaux.

Comment tout est lié – Les abeilles, les hommes, la nature ?

Un atelier avec les artistes et apicultrices Moabees (Bärbel Rothhaar, Katja Marie Voigt, Elisa Dierson) en partenariat avec l’école communautaire du Campus Rütli. En collaboration avec les enfants, les Moabees ont exploré les liens étroits unissant les abeilles, les humains et de nombreux autres êtres vivants.

Les Moabees sont un groupe d’artistes et d’apicultrices fondé par Elisa Dierson, Bärbel Rothhaar et Katja Marie Voigt au ZK/U Berlin (Zentrum für Kunst und Urbanistik/Centre d’art et d’études urbaines, Berlin) en 2013. Ce collectif développe des perspectives artistiques impliquant les abeilles dans la société urbaine6.

Dans le but de partager les connaissances sur l’abeille sans dard Melipona beecheii « et la meliponiculture avec différentes communautés et méliponaires [ruchers d’élevage de mélipones], l’école agroécologique U Yits Ka’an a prévu de produire un livre d’images pour tous les âges basé sur les résultats des différents ateliers et expériences d’apprentissage dans le cadre du processus « Méliponiculture : histoires et échanges de savoirs »7.

L’exposition U JUUM BÁALAM KAAB le bourdonnement de l’abeille gardienne

Présentée en 2023 à la House Spore de la fondation Spore Initiative, cette exposition emprunte son titre à un poème des poètes mayas Daniela Cano et Sasil Sánchez et à l’outil pédagogique éponyme issu d’une collaboration continue entre Spore Initiative et l’Escuela de Agricultura Ecológica U Yits Ka’an.

« Bien avant les humains, les abeilles indigènes sans dard, connues aujourd’hui par les peuples mayas sous le nom de xunáan kaab, se sont installées dans les divers écosystèmes actuellement menacés de la péninsule du Yucatán en Amérique centrale. Il n’existe pas moins d’une douzaine de variétés d’abeilles sans dard que nous connaissons aujourd’hui, parmi lesquelles Melipona beecheii, communément entretenue par les Mayas dans des bûches d’arbres creuses appelées jobones.

Un lien intime entre les ancêtres Mayas et ces abeilles sauvages indigènes est attesté dans des manuscrits préhispaniques, qui codifiaient la manière dont le miel et la cire étaient récoltés pour leurs propriétés curatives et les offrandes cérémonielles. Les douze dernières pages du Codex de Madrid ont été soumises à un examen minutieux par des épigraphistes mayas et occidentaux qui visent à préserver non seulement les connaissances ancestrales sur la méliponiculture, mais aussi la profonde vénération vouée à ces délicates créatures en tant que gardiennes et protectrices de leurs écosystèmes.

C’est le bourdonnement continu, qui se répercute à travers le temps et à travers les générations d’abeilles Melipona et de praticiens mayas de la méliponiculture, qui a inspiré l’installation immersive House of Similarities d’Ariel Guzik. Commandée spécialement par Spore, cette œuvre est le fruit d’un dialogue avec les communautés de méliponiculteurs et d’U Yits Ka’an, s’appuyant sur la longue pratique de Guzik consistant à explorer les expressions de la nature et la communication inter-espèces à travers des instruments, des corps résonants et du son. Inspiré par les soins qui relient, la compréhension et le mutualisme entre les humains et les abeilles Melipona rencontrés dans la communauté maya, Guzik propose une maison pour les abeilles Melipona qui transcende son registre symbolique à son retour au Yucatán, où elle rejoindra d’autres jobones conservés par la méliponicultrice Doña Neby, à qui l’œuvre est redevable et à qui elle sera offerte. Au centre de cette œuvre se trouve une étude sonore de quarante minutes d’enregistrements de colonies de Melipona, accompagnée d’un ensemble de dessins mêlant poésie, son scénario idéogrammatique8 et des paysages oniriques qui invitent à l’imagination, à la fantaisie et à l’émerveillement. » https://spore-initiative.org/en/programming/participate/u-juum-xunaan-kaab

L’école agroécologique U Yits Ka’an organise des ateliers sur la « conservation des arbres des aînés » dont l’objectif consiste à « transmettre l’expertise enracinée dans la culture maya en matière d’entretien, de reproduction et de conservation des arbres indigènes », à « promouvoir une compréhension du rôle que jouent les arbres dans une alimentation saine » et à « apporter une contribution pratique à une culture respectueuse de la forêt. »

Cette exposition présentée en janvier et en février 2024 rassemble des contributions « conçues et réalisées par des personnes de différents horizons engagées sur le territoire de la péninsule du Yucatán, activant ainsi leur circulation là-bas et à Berlin. Les contributeurs comprennent des paysans mayas pratiquant la milpa, des praticiens du xook k’iin, des artistes, des poètes, des artisans, des éducateurs, des universitaires, des chercheurs autochtones indépendants, des enfants d’écoles primaires et un réalisateur de documentaires. Leurs pratiques et connaissances éclairent l’exposition, chacune répondant de manière créative aux différents bio-indicateurs qui font partie du xook k’iin, qu’il s’agisse des nuages, des vents, des fourmis, des variétés d’oiseaux et de leurs nids, de l’arbre ceiba ou de la fleur flamboyante. »

Références

  1. Chittka L., Raine N. E., ‘‘Recognition of flowers by pollinators’’, Current Opinion in Plant Biology, Volume 9, Issue 4, August 2006, Pages 428-435. https://doi.org/10.1016/j.pbi.2006.05.002
  2. École d’agriculture écologique U Yits Ka’an, Maní, Valladolid, Yucatán, Mexique.
    Site Internet en espagnol : www.uyitskaan.org
    Texte de présentation des pratiques, méthodologies et finalités de cette école (en espagnol et en anglais) : https://spore-initiative.org/en/processes/partners/escuela-de-agricultura-ecologica-u-yits-kaan
  3. « Nous sommes un groupe de jeunes mayas qui font partie d’une génération qui revient à la terre. L’impossibilité de continuer à vivre des champs de maïs et de la pêche artisanale en raison de la dévastation des sols due à l’invasion des monocultures, de l’agrochimie et de la transformation des conditions climatiques, a conduit au déplacement de plusieurs générations vers les villes et les centres touristiques à la recherche de subsistance pour leurs familles. Nous venons redécouvrir nos façons mayas de construire, de cultiver les champs de maïs, de prendre soin des graines et des abeilles indigènes, pour réinventer ensemble nos façons d’habiter le territoire. » https://spore-initiative.org/en/processes/partners/colectivo-suumil-mooktaan-2
  4. « La milpa est un système de culture millénaire valorisé dans toute la Méso-Amérique. Sont plantées les trois sœurs : le maïs, les haricots et les courges, ainsi que d’autres cultures comme les avocats, les melons, les tomates, les piments, etc. Les plantes se complètent écologiquement et au niveau de leurs besoins nutritionnels. Dans la milpa, une zone défrichée est généralement cultivée pendant un certain temps, puis laissée en jachère ; elle n’est pas seulement un système agricole, impliquant des relations complexes entre agriculteurs, plantes, terre, famille, communauté et cosmologie. » Collectif Suumil Móokt’an.
  5. Le Solar maya est un espace d’apprentissage intergénérationnel ouvert à toutes les sphères de la vie sociale d’ « une superficie comprise entre 250 et 1 000 mètres carrés qui, en plus de la maison familiale, contient différents éléments d’autosuffisance. En tant que microcosme de la société maya, le Solar est également le lieu fondamental pour établir des relations complexes avec la nature, la communauté et la cosmologie maya ; il est profondément lié au territoire. Alors que les processus de ‘‘modernisation’’ et d’urbanisation parrainés par l’État ont partiellement remplacé les modes de vie, de construction et de subsistance traditionnels, le Solar est aujourd’hui aussi une forme de reconstruction de relations régénératrices avec l’environnement et de défense de la culture, de la langue, des modes de vie, de la souveraineté alimentaire, de l’identité et du territoire des Mayas. » https://spore-initiative.org/en/processes/facilitation/the-solar-maya-as-a-collective-learning-space
  6. Les Moabees (texte en allemand) : https://moabienen.berlin-bienenstadt.de
  7. À lire (texte en anglais) : https://spore-initiative.org/en/processes/facilitation/meliponicultura-stories-and-knowledge-exchange
  8. Idéographique, relatif aux idéogrammes. Écriture Maya : www.worldhistory.org/trans/fr/2-655/ecriture-maya
  9. « Le xook k’iin maya est une pratique de longue date utilisée pour prédire les variations météorologiques et les phénomènes tels que les ouragans, les sécheresses, les pluies et les vents. Il s’agit d’une forme de connaissance basée sur une expérience directe de l’environnement acquise par les peuples mayas au fil de centaines d’années. » https://spore-initiative.org/en/programming/participate/xook-kiin

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