Vie et mort des paysages. Agriculture intensive et abeilles sauvages. Part. 1

Accotements routiers et talus

Dépendances vertes agricoles et pesticides

               1. 2. 3. 4. 5. 6. Quelques exemples de destruction ordinaire des habitats-corridors de la flore et de la faune sauvages par des agriculteurs en intensif dans les dépendances vertes routières (accotements, talus, fossés), espaces dits « délaissés » car improductifs où ces corridors de circulation devraient être épargnés, au bénéfice des agriculteurs eux-mêmes (au bénéfice de leur image notamment, très dégradée dans l’opinion publique eu égard aux biocides, et pour cause[2]…).

               Qui n’a remarqué, se déplaçant au sein d’agrosystèmes productivistes, des bordures, talus (et fossés attenants) répétitivement arrosés d’herbicide et ce, à toute saison, par les agriculteurs exploiteurs des champs limitrophes ? (Photos 1. 2. 3. 4. 5. 6.) Loin de contrer le développement d’adventices nuisibles aux cultures, cette pratique contre-productive les favorise au contraire (le brôme stérile, par exemple, ou, comme on le voit bien sur la photo 2., les orties, adventices nitrophiles repoussant très vite après les pulvérisations ou leur résistant). « Il n’y a pas lieu de craindre un envahissement du champ par les espèces qui vivent dans une telle bordure ; le milieu ne leur est pas favorable. Les travaux du programme Avifaune confirment qu’une diversité florale bien gérée attire des pollinisateurs et des auxiliaires sans mettre en danger les cultures. Les adventices annuelles et nitrophiles particulièrement dommageables sont favorisées par les pesticides, les sols nus, le broyage à ras, les fertilisants[3]. »Le cas des zones herbeuses linéaires tels les talus, corridors biologiques qui traversent des aires d’agriculture intensive – lesquelles s’avèrent particulièrement hostiles à la faune et à la flore sauvages – doit être distingué. Dans ces contextes, « l’effet lisière des talus se révèle d’autant plus intéressant qu’ils jouent un rôle de réservoirs biologiques, voire même de compensation écologique[4] ». De fait, en milieu agricole intensif, de nombreuses espèces végétales et animales se trouvent rejetées en périphérie des terres cultivées en raison des labours et autres travaux du sol (qui, dans le cas des insectes, déstructurent les nids et détruisent les cellules larvaires), des passages réitérés d’engins agricoles qui compactent les sols et des épandages de biocides et d’engrais de synthèse (intrants nocifs pour la vie micro-organique des sols), toutes pratiques qui refoulent et/ou tuent la biodiversité entomologique particulièrement : les bordures, talus et fossés adjacents aux champs cultivés deviennent leurs derniers refuges. De nombreuses espèces de bourdons nidifient sous terre dans des cavités préexistantes (des terriers de rongeurs abandonnés par exemple) ou aménagent leurs nids juste sous la surface du sol (bourdons terrestres, des prés, des pierres, des jardins, etc.). Des cavités souterraines propices aux colonies de ces insectes eusociaux sont des substrats disponibles dans certains paysages perturbés, mais ne le sont pas dans les zones d’agriculture industrielle privées de haies, de vieux arbres et autres éléments paysagers hospitaliers à l’entomofaune floricole et, plus largement, à la faune sauvage : talus, pentes, parois de terre, fossés, friches, rocailles, bois, souches, branches et arbres morts au sol ou sur pied, buissons, fourrés, ronciers, murets et pierriers, tas de sable et graviers, mares (les insectes ayant besoin d’eau pour s’abreuver, se rafraîchir et pour certains, bâtir leur nid : abeilles maçonnes, guêpes potières…). D’autres espèces de bourdons (tels celui des mousses ou celui des champs) construisent leur nid à la surface du sol sous des matières végétales, de l’herbe, des feuilles mortes, du compost, de la mousse – nid confectionné avec divers matériaux végétaux (brindilles, feuilles, mousse…). La plupart des reines de bourdons, pollinisateurs majeurs auxquels les agriculteurs, arboriculteurs, maraîchers, mais aussi les éleveurs (production d’oléagineux et de protéagineux pour le bétail) doivent énormément, s’enterrent l’hiver. Soulignons que les bourdons sont très fortement impactés par les changements globaux affectant négativement les paysages ; parue en décembre 2019, la Liste rouge des abeilles de Belgique[5] énonce que « 80 % des espèces des bourdons sont menacées d’extinction, d’ores et déjà éteintes ou en passe d’être menacées » !!!…

Bordures de routes, de chemins, de prés, de champs plantées ou non d’alignements d’arbres/arbustes, avec ou sans talus, buttes, pentes plus ou moins inclinées, sont très prisées des abeilles terricoles sociales (certaines espèces de la famille des Halictidés) et solitaires (Andrénidés, Halictidés, Apidés, Colletidés, Melittidés). Numériquement majoritaires (environ 70-80 % des Apoïdés apiformes), les abeilles terricoles creusent et aménagent leurs nids à 10-50 cm de profondeur suivant les espèces dans divers types de sol (nu ou végétalisé, plat ou en pente, souple ou compact…), où elles se reposent, s’abritent – pour certaines, se reproduisent, comme certaines collètes et andrènes –, où leurs progénitures se développent grâce aux réserves de nourriture (pain d’abeille : nectar + pollen) que les femelles y engrangent leur vie laborieuse durant : on imagine sans mal le bien que ces « arrosages » répétés d’agrotoxiques sur les talus, bandes enherbées, accotements de champs privés ou non de haies où elles sont susceptibles d’avoir foré leurs nids font par contact aux adultes comme aux immatures[6]Outre le fait que ces épandages de poisons sur les pentes et fossés adjacents aux champs traités, mais aussi sur les routes et chemins limitrophes, contaminent directement les eaux de surface (lessivage par les eaux de pluie), ils déciment la flore sauvage mellifère résiduelle dont les butineurs s’alimentent ; la nourriture s’avérant rare et les périodes de famine (ou de malnutrition chronique) souffertes par les insectes floricoles certaines dans les agrosystèmes productivistes, il est inadmissible que semblables pratiques soient toujours tolérées par les pouvoirs publics. Dans le Calvados par exemple, où ces photos furent prises, aucune réglementation n’incite les agriculteurs à épargner, a minima ! les talus, fossés attenants, bandes enherbées, pieds de haies limitrophes des cultures[7]. En revanche, en Suisse par exemple, les pulvérisations de glyphosate sur les chemins, talus et bandes herbeuses localisées en bordure des routes sont interdites et font l’objet de pénalités lors des contrôles. Pareilles pulvérisations sur les buissons et haies champêtres sont également prohibées, comprenant même une bande herbeuse de protection des biocides de 3 m[8].

Comment diable faire comprendre aux agriculteurs esclaves d’un système mondialisé et qui persistent avec une obstination (auto-)destructrice dans le tout-pesticides/engrais chimiques que la violence de moins en moins comprise/admise de leurs pratiques et que l’absence totale de réciprocité (tout prendre aux écosystèmes sans rien leur rendre) et de durabilité de leurs agissements sont la cause initiale, première de l’ « agribashing » (un concept inventé par l’agrobusiness) dont ils se plaignent, au point d’avoir sollicité en 2019 d’un gouvernement aussi complice que servile la création d’une cellule de gendarmerie baptisée Déméter (… Déméter, nom de la déesse grecque des moissons… quel cynisme !…) ayant pour but de contrer les « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole [!] ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques[9] » ?… (Le point d’exclamation est nôtre.)

Quelques exemples d’abeilles sauvages nichant au-dessous du sol

« Jean-Henri Fabre s’était installé en ce village [Sérignan-du-Comtat] en 1889. Naturaliste (il ne voulait pas qu’on l’affublât du nom d’entomologiste), il s’était reclus dans un jardin où il acclimata des espèces tropicales, des arbres précieux et des insectes baroques. Il laissa s’épanouir une friche, harmas en provençal et, dans son cabinet de curiosités, aligna les coquilles, épingla les papillons, s’adonna à l’étude. Pendant trois décennies il herborisa, courut les flancs du mont Ventoux, étudia l’évolution des espèces, collectionna les fossiles, aima les bêtes et composa d’inoubliables ‘‘souvenirs entomologiques’’ sur une petite table de bois. Leur lecture m’avait appris qu’on pouvait s’ouvrir au monde dans le secret d’un jardin, fonder un système de pensée en regardant les herbes, passer à la postérité protégé de la rumeur du monde et développer une philosophie totalisante qui ne propulsait pas l’homme au sommet de toute considération. Un insecte est une clef, digne de la plus noble joaillerie, pour ouvrir les mystères du vivant. » Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Gallimard, 2016, p. 66.

               Environ les trois-quarts des presque 1 000 espèces d’abeilles sauvages décrites en France sont terricoles[10]. Situés à 10-50 cm de profondeur dans le sol, nous l’avons dit, les nids de ces abeilles (c’est-à-dire leurs habitant.e.s : œufs, larves, nymphes, adultes) sont anéantis par les engins et pratiques agricoles tels les labours et autres travaux du sol. Leur nuisent également très fortement les épandages d’intrants chimiques qui affectent négativement leurs microbiomes[11], ces assemblages de microorganismes symbiotiques dont on connaît bien aujourd’hui l’importance des rôles qu’ils jouent dans la santé des êtres vivants (régulation du système immunitaire et défense contre les agents pathogènes, entre autres). Maintes études entérinent les impacts délétères des herbicides, fongicides et insecticides sur les communautés microbiennes associées aux insectes auxiliaires, dont les abeilles[12].  

Les terriers d’abeilles sauvages solitaires et sociales, isolés ou construits en agrégation, sont également détruits par la bitumisation/bétonisation galopante des milieux agraires, des chemins de campagne et autres tracés dits « verts » (telles les anciennes voies ferrées, milieux riches en vie biologique, qui le sont beaucoup moins une fois devenues « vertes » : transformées en pistes cyclables par exemple, où la végétation des accotements subit maints broyages intempestifs), des trottoirs villageois et des milieux semi-naturels situés en périphérie des bourgades, villes ou terres agricoles.

Leur sont également néfastes la transformation, allant s’accroissant, des vergers, prairies naturelles (non enrichies en engrais organiques ou chimiques, lesquels éliminent la flore sauvage mellifère amatrice de sols pauvres), (semi-)permanentes et bocagères en champs cultivés intensivement gérés – y compris dans les zones soi-disant protégées telles les zones Natura 2000, les parcs naturels régionaux et autres réserves dites « naturelles »[13]

Beaucoup de ces nids sont également détruits par des particuliers par méconnaissance ou par peur lorsque ces abeilles nidifient dans les parcs et jardins. Or, les abeilles sauvages n’attaquent pas les humains lorsqu’ils stationnent ou passent près de leurs terriers ; seules les femelles sont munies d’un dard : elles ne s’en servent que si on les agresse physiquement, en leur marchant dessus ou en les comprimant entre les doigts par exemple.

Au printemps, marcher précautionneusement et attentivement le long des accotements de prés ou de champs, dans les prairies, les zones herbeuses des parcs et jardins, permet d’observer des abeilles sauvages cachées au sol dans la végétation ou suspendues aux herbacées. Beaucoup d’espèces, dont les andrènes (mais aussi les anthophores, les halictes et les lasioglosses pollinisatrices de plantes sauvages et cultivées) nidifiant à cette saison dans les sols nus ou végétalisés, observer les allers-retours des femelles amenant à leurs nids les charges polliniques dédiées au nourrissage des générations à venir est un spectacle aussi instructif que charmant. Souvent, elles entrecoupent leurs voyages ailés/zélés de périodes de repos dans l’herbe à proximité de leur nid et, le temps s’avérant quelquefois très frais en avril-mai, on peut les y voir se réchauffer aux rayons du soleil (photos 8. 9. 10.). Une fois au sol, dans la végétation herbeuse, elles sont, comme maints autres arthropodes, très vulnérables aux écrasements, aux pulvérisations d’agrotoxiques ou aux tontes et broyages de la végétation (cette dernière question sera abordée ultérieurement).

               À cette saison, on observe aussi aisément des abeilles semblables à de petites guêpes en train de patrouiller avec obstination au ras du sol et s’y posant souvent (photo 11.), à la recherche de nids d’andrènes à parasiter. En effet, les femelles de ce genre d’Apidés pondent leurs œufs au sein du nid d’autres espèces dans le but d’assurer – aux dépens des progénitures des abeilles laborieuses – l’alimentation et le développement de leurs larves. Pondant leurs œufs dans les chambres à couvain aménagées par les femelles d’autres espèces d’abeilles, elles sont dépourvues d’organes spécialisés dans la récolte et le transport du pollen : nul besoin pour elles d’en collecter, puisque leurs larves consommeront celui stocké par l’abeille-hôte ! « On parle dans ce cas de cleptoparasitisme du grec Kleptes qui veut dire ‘‘voleur’’. Un cleptoparasite est un organisme qui utilise les réserves alimentaires amassées par un autre organisme (hôte) pour nourrir sa descendance[14]. » Les œufs pondus par la nomade dans les cellules larvaires de l’abeille-hôte éclosent généralement avant ceux de cette dernière : les jeunes larves nomades tuent les œufs de l’hôte et mangent leurs provisions.Colorées de jaune, orange, brun rougeâtre, noir, les nomades disposent d’une pilosité moins dense que celle des espèces d’abeilles non parasites. Aussi, leur prête-t-on une moindre aptitude à polliniser les plantes. N’oublions pas, toutefois, que « les parasites jouent un rôle moteur dans l’évolution du vivant[15] »,donc les nomades dans celle des andrènes ! En raison de leur présence assidue au sol, ces abeilles sont tout aussi vulnérables que leurs hôtes aux agressions humaines ci-dessus évoquées.

               8. 9. 10. Trois andrènes femelles d’espèces différentes (Andrenidae sp.) chargées de pollen de pissenlit font, en avril, une petite pause dans l’herbe avant de rejoindre leurs nids souterrains respectifs.

              Certaines abeilles terricoles préfèrent les sols plats, en pente, les murs de terre, parois d’éboulis ou talus, tandis que d’autres – témoignant en cela de plasticité comportementale – nidifient indifféremment dans l’une ou l’autre de ces configurations. Toutes jouant un rôle majeur dans la pollinisation des plantes sauvages ou cultivées (la présence de plantes sauvages, qui les nourrissent leur cycle de vie durant, autorisant la pollinisation des plantes de culture à floraison éphémère), ne mériteraient-elles pas davantage de respect et de considération de la part des différents secteurs de la profession agricole produisant en « conventionnel » ? (Ou dont les productions sont labellisées « Haute valeur environnementale », ce label, censé récompenser des modes de production respectueux de l’environnement s’avérant trompeur, puisque maints agriculteurs qui en bénéficient recourent aux engrais et aux pesticides de synthèse[16] !). Entre autres, a minima, l’arrêt des pulvérisations de biocides sur ces précieux habitats des agrosystèmes intensifs que sont bordures enherbées, parois, talus (et fossés adjacents) plantés ou non d’alignements de ligneux. Mieux, les agriculteurs conventionnels devraient être contraints – et pour ce faire, dédommagés – d’aménager une bande-tampon de 5 m de large minimum entre les zones pulvérisées ou traitées en enrobage de semences et lesdits habitats en bordure. Aujourd’hui, la réglementation leur impose le respect d’une zone d’une largeur minimale de 5 m entre les aires pesticidées et les milieux aquatiques permanents ou temporaires (cours d’eau, mares, fossés circulants…) limitrophes de leurs champs[17]. Alors pourquoi ne pas appliquer semblable réglementation aux aires enherbées, en pente ou non, buissonnantes ou arborées adjacentes aux aires de monocultures subissant des intrants chimiques, autant d’habitats-corridors de circulation, de reproduction, de nidification et d’alimentation de maints arthropodes, dont beaucoup s’avèrent utiles aux productions agricoles (recyclage de la matière organique, fertilité des sols, lutte contre les ravageurs de culture, pollinisation…), partant, aux agriculteurs eux-mêmes ?…

               « L’utilisation intensive d’insecticides (qui provoquent la mortalité par intoxication directe), d’herbicides et d’engrais (qui affectent indirectement les pollinisateurs en diminuant la disponibilité des ressources florales) a été identifiée comme les principaux facteurs du déclin des pollinisateurs. De plus, il a été démontré que les fongicides, autrefois considérés comme inoffensifs pour les abeilles, ont un impact négatif sur les pollinisateurs sauvages et gérés, à la fois par toxicité directe ou par synergie avec les insecticides[18]. »

 

L’halicte de la scabieuse

               Dans le puits d’ombre de l’orifice d’entrée de la « taupinée » – selon le mot du célèbre entomologiste Jean-Henri Fabre (1823-1915) – de cette espèce d’abeille à la livrée fort élégante, une gardienne veille à ne laisser entrer aucun intrus (photo 14.). « Nul ne pénètre [dans le terrier de l’halicte] sans le consentement de la concierge », écrit cet entomologiste qui fut aussi bel écrivain. « Immobiles, la tête à fleur de terre, [les sentinelles] font barricade contre l’envahisseur. Si je les regarde de trop près, elles reculent un peu et attendent dans l’ombre le départ de l’indiscret. » (J.-H. Fabre, Souvenirs entomologiques, « Éthologie des halictes : sommaire ». www.e-fabre.com/etexts/halictes.htm.)

Terricole (photo 15.), l’« halicte zèbre » – comme l’a nommée J.-H. Fabre en raison de ses « belles ceintures de zèbre, alternant le brun et le roux » –niche en colonies plus ou moins importantes dans les sols souples et dénudés ainsi que dans les talus secs, de préférence exposés au sud et couverts d’une végétation clairsemée. Les nids, en agrégation ou en « bourgade », s’établissent dans des sols légers. À l’instar des bourdons et d’autres espèces d’Halictidés de nos régions, cette espèce dite « primitivement eusociale » vit en colonies annuelles : les fondatrices − femelles fécondées qui ont hiverné – établissent, au printemps, des nids seules ou en petits groupes, où elles élèvent deux couvées par an : la première progéniture émerge des nids en juin-juillet et la seconde, en août-septembre. L’halicte de la scabieuse et d’autres espèces d’Halictidés sont dits « socialement polymorphes », parce que les femelles témoignent de stratégies reproductives flexibles[19].

Assez commune dans les milieux anthropisés – notamment les jardins −, l’halicte zèbre visite nombre de fleurs, sa préférence allant aux Astéracées, et plus particulièrement aux centaurées et chardons (dite « de la scabieuse », cette Halictidée tire son nom de la centaurée scabieuse, une Astéracée carduée qu’elle affectionne particulièrement). En août-septembre, mâles et femelles de la 2e génération butinent et pollinisent les tournesols (Helianthus sp.) dans les champs cultivés et les jardins (photos 16. 17.). À cette saison, les femelles, futures fondatrices, se préparent à l’hivernage en faisant des réserves de graisse.

               16. 17. Halictes de la scabieuse ♀ et ♂ visitant des fleurs de tournesol en septembre.

Le dasypode hirsute

               Les terriers (photo 18.) de cette belle abeille mélittide plongent à 30-70 cm de profondeur et comprennent une galerie principale et des galeries latérales que terminent 1 à 3 chambres larvaires (1 larve par chambre) ; forés à proximité les uns des autres, ces terriers forment des villages d’abeilles ou bourgades où les accouplements ont lieu. Une fois achevée la construction des cellules qui abriteront sa descendance, la femelle confectionne une boulette de pollen et de miel sphérique reposant sur 3 pieds, où elle dépose un œuf. La larve qui éclora de cet œuf consommera cette pâte pollinique indispensable à son développement en adulte.

Si les femelles visitent principalement les Astéracées, les mâles jettent leur dévolu sur une plus grande diversité d’espèces florales (photo 19.). Mâles et femelles sont d’importants pollinisateurs des fleurs de tournesol cultivé.

La collète du lierre

               « L’abeille du lierre occupe des habitats très variés [dont les paysages de plaine agricole], ses seules exigences étant de disposer à la fois de massifs de lierre et de milieux ouverts comportant des talus ou des parois dénudées suffisamment meubles[20]. » En tant que pollinisatrice majeure du lierre grimpant (Hedera helix) parce qu’elle collecte principalement (mais non exclusivement) nectar et pollen sur cette plante lianescente, cette ravissante collète contribue activement à la bonne santé des écosystèmes (semi-)naturels et plus anthropisés via la pérennisation – à laquelle elle œuvre – de cette plante capitale, cette dernière constituant l’un des derniers végétaux à fournir nectar et pollen en abondance à quantité d’insectes (abeilles mellifères et sauvages, papillons, syrphes, mouches, guêpes) avant l’hiver, favorisant par exemple le bon hivernage des jeunes reines fécondées de bourdons et des abeilles domestiques – riche en lipides, en acide linolénique notamment, le pollen de lierre grimpant joue un important rôle dans la santé et la longévité des abeilles. Cette plante est aussi cardinale pour les oiseaux, à qui elle offre maintes baies l’hiver et fournit des abris. Parce qu’elle conserve son feuillage durant la saison froide, elle constitue également un refuge apprécié de quantité d’insectes et d’arthropodes. Contrairement à des croyances aussi répandues qu’erronées, elle ne parasite pas les arbres. Aussi, laissons-la s’épanouir, ainsi que le formidable cortège des espèces animales qui en dépendent et dont elle dépend !

Chaque collète du lierre femelle construit son propre terrier constitué d’une galerie principale de 10 cm de long et d’une dizaine de cellules à couvain (1 larve par cellule) latérales où ses descendants se développent sur une provision de pain d’abeille. Cette espèce s’observe dans maints milieux (bocages, lisières, littoraux, parcs et jardins urbains…).« Observez les petits trous ou les petits monticules de terre lors de vos balades […] (photos 20. 21.). Ils peuvent se trouver sur une butte, un talus, un chemin en terre battue, parfois même entre des dalles ou dans une pelouse. La présence de nids est trahie par l’accumulation du substrat à l’entrée de celui-ci : sable ou terre plus ou moins compact. Souvent, quand un habitat est propice, il arrive que l’on retrouve plusieurs nids sur un même lieu, c’est ce qu’on appelle un village ou une bourgade d’abeilles terricoles. » « Biodiversité : opération ‘‘Des abeilles dans la terre’’ ? », metz.fr, 2022. https://metz.fr/actus/2022/220317_biodiversite_operation_des_abeilles_dans_la_terre.php

               Collètes du lierre femelle (photo 22.) et mâle (photo 23.) sur lierre grimpant. Chargée du pollen de cette liane arbustive qui orne de son épais feuillage sempervirent les paysages ruraux et sylvestres de l’hémisphère Nord depuis des siècles, la femelle se repose de ses efforts, tandis que le mâle butine du nectar sur l’une de ses nombreuses inflorescences.

L’andrène très-agile

               Oligolectiques, les femelles d’Andrena agilissima ne collectent de pollen pour leur descendance que sur quelques genres de Brassicaceae : des pollinisatrices hors-pair de plantes de grandes cultures comme le colza (Brassica napus) ou de plantes potagères/fourragères comme les navets, raves, radis, la navette oléagineuse, le chou chinois, le pakchoï ou le pe-tsaï (Brassica rapa). Cette superbe abeille – qui nidifie en commun, mais ne pratique pas la division du travail (chaque femelle s’occupant de sa propre progéniture) – nécessite d’aménager ses sites de nidification sur des murs en terre inclinés ou verticaux où creuser des galeries. Des micro-habitats devenus si rares dans les agrosystèmes intensifs que les effectifs de cette espèce y ont beaucoup régressé : de vastes « bourgades » de nids de cette abeille sont devenues très difficiles à trouver.

 

               24. 25. Andrènes très-agiles (Andrena agilissima, Andrenidae) femelle et mâle au repos sur une fleur de pissenlit et de moutarde au printemps, respectivement.

L’andrène à cul rouge

               Cette ravissante espèce d’abeille solitaire, l’une des plus communes de nos régions, fréquente les zones de grande culture, les vergers, jardins, parcs et potagers où elle butine une grande variété de plantes à fleur sauvages et cultivées. Elle figure « dans le top 5 des abeilles sauvages les plus impliquées dans la pollinisation des cultures ». « Les femelles assurent une pollinisation très efficace, ce qui est particulièrement intéressant dans le contexte de l’arboriculture fruitière[21] » par exemple.

               Andrènes à cul rouge (Andrena haemorrhoa, Andrenidae) femelle (photo 26.). et mâle (photo 27.) sur une fleur de pommier et de pissenlit au printemps, respectivement.

L’andrène cendrée

               Cette élégante abeille tout de gris et de noir vêtue butine une multiplicité d’espèces florales sauvages et cultivées, dont les arbres fruitiers comme les pruniers et pommiers. « Sa prédilection pour les Brassicacées » fait d’elle « un pollinisateur précieux pour les cultures de colza ». À l’instar de toutes les andrènes, elle est terricole : « Les nids sont discrets et creusés dans l’herbe ou dans les talus[22] ».  

               Andrènes cendrées (Andrena cineraria, Andrenidae) femelle (photo 28.) et mâle (photo 29.) respectivement posées sur une inflorescence de céleri potager et une fleur de prunier au printemps.

L’andrène fauve

               Cette splendide espèce à la coloration rousse contrastée est « l’une des abeilles sauvages les plus impliquées dans la pollinisation des cultures », dont celle des arbustes et arbres fruitiers. Elle nidifie dans les sols meubles des accotements, talus, prairies, friches, parcs et jardins ; la galerie principale de son nid mesurant 10 cm de long comme chez beaucoup d’abeilles andrénides, on mesure combien elle et sa descendance sont, au sein même de leur logis souterrain, vulnérables aux épandages de biocides – ces poisons s’infiltrant et s’accumulant dans les sols –, aux labours et autres travaux agricoles, mais aussi aux broyages de la végétation réalisés par des agriculteurs ou commandités par des communes, qui décapent maintes fois sols et talus (cette dernière question sera abordée ultérieurement)

               30. 31. Andrènes fauves (Andrena fulva, Andrenidae) femelles respectivement posées dans l’herbe et sur une fleur de prunier au printemps.

                Osmie mâle (photo 32.), andrène femelle (photo 33.) et bourdon des champs (photo 34.) sur fleurs de pommier. « Il a été démontré que les abeilles maçonnes (par exemple Osmia spp.), les abeilles fouisseuses (par exemple Andrena spp.) et les bourdons (Bombus spp.,) sont des pollinisateurs efficaces des pommiers et, dans certains cas, plus efficaces que les abeilles domestiques. »

Quelques exemples d’abeilles sauvages nichant au-dessus du sol

               Certaines femelles de Mégachilidés construisent leurs cellules larvaires dans le sol à l’aide de différents matériaux (feuilles, pétales de fleurs, résine…), tandis que d’autres espèces, plus nombreuses, de cette famille, nidifient au-dessus du sol dans divers types de cavités : tiges, fentes ou trous dans du bois mort, des vieux arbres, creux dans la roche, dans un mur…

Les abeilles mégachilides qui façonnent leurs nids au-dessus du sol et l’aménagent dans l’herbe, les plantes herbacées, les tiges d’arbre ou d’arbuste, le bois mort, les anfractuosités rocheuses, de vieux murs, sont refoulées des agrosystèmes intensifs, ces substrats de nidification étant supprimés de ce type de milieux. Aussi, ces espèces d’abeilles sont-elles, comme les abeilles terricoles, fortement impactées par l’extrême simplification desdits paysages agraires et l’anéantissement, par les pratiques associées, des habitats et micro-habitats propices à leur biologie et à leur écologie.

               Nous l’avons vu, certaines espèces de bourdons, abeilles primitivement eusociales fondatrices de colonies annuelles, élaborent leur nid à même le sol, dans un tas de compost, de mousse, de feuilles, de grosses touffes d’herbe, sous du bois mort ou dans les cavités préexistantes du sol. Autant de micro-habitats également éliminés des aires d’agriculture productiviste.

               37. 38. Nids de différentes espèces de Mégachilidées aménagés dans les tiges de bambou d’un hôtel à abeilles, ce qui facilite grandement leur observation.

               Les abeilles mégachilidescavicoles (nidifiant dans des cavités) ont grand besoin de ligneux (d’arbres/arbustes) pour assurer la pérennité de leurs espèces respectives. Leur sont nécessaires également divers substrats afin d’élaborer les chambres larvaires occupant leurs terriers et d’obturer les entrées de leurs nids : terre (non traitée aux pesticides et aux engrais chimiques de préférence !), feuilles d’espèces végétales particulières, pétales de fleurs d’espèces botaniques spécifiques également, fibres végétales (que seulement leur offrent les espèces tomenteuses, photo 42.), résine d’arbre, etc.Sur laphoto 37., on observe des entrées de nid obturées avec de la terre par des osmies (Osmia sp.), formidables pollinisatrices d’arbres fruitiers (photos 39. 40.), et une entrée de nid bouchée avec des pétales de fleur d’onagre par une mégachile coupeuse de fleurs (Megachile sp.). Sur la photo 38.,une entrée de nid est operculée par des feuilles de réglisse des bois à moitié mastiquées par une mégachile coupeuse de feuilles (Megachile sp.) tandis que, colmatés par de la résine d’arbre, les interstices situés en haut et à droite de l’hôtel à abeilles attestent le fait qu’ils abritent une petite nichée d’abeilles mégachilides du genre Heriades (photo 41.).

                43. Une anthidie aménage, dans le coffre d’accès au réservoir d’essence d’une voiture, son nid constitué de chambres larvaires individuelles tissées de fibres végétales cardées sur les plantes tomenteuses. Chaque cellule contient une larve qui se développera en une abeille adulte. Les femelles mégachilidées, qui nidifient dans des cavités préexistantes qu’elles tapissent et obturent à l’aide de divers substrats minéraux et végétaux (boue, sable, petits cailloux, fragments de bois, de feuilles, de pétales, résine…), sont aussi connues pour installer leurs nids dans les interstices offerts par les habitations humaines comme les trous de serrure ou d’aération de fenêtres, parmi les exemples les plus fréquemment observables de lieux de nidification plutôt inattendus (photo 44 : on notera le petit tas de déchets expulsés par une osmie rousse femelle en plein nettoyage d’un trou d’aération de fenêtre où elle s’apprête à installer sa descendance). S’adaptant de façon tout aussi étonnante aux modifications (ou, en l’occurrence, aux pollutions) environnementales, des mégachiles dites « tapissières » ou « coupeuses de feuilles » élaborent, en tout ou partie, les cellules à couvain abritant leurs rejetons (et les réserves en pain d’abeille engrangées pour ceux-ci) avec diverses sortes de déchets plastiques [24].

                45. et 46. Ce nid d’osmie dite « maçonne » (Osmia sp.), genre d’abeilles mégachilides printanières pollinisatrices de fruitiers notamment, a été découvert par un apiculteur lors d’une visite de ruche : installé sur le couvre-cadres, il était abrité par le toit de celle-ci. On notera la belle architecture des cloisons de boue séchée élevées par la femelle d’osmie à l’aide de ses mandibules entre chacune des alvéoles de couvain ainsi que le caractère pulvérulent des provisions florales ici stockées par elle pour nourrir les larves qui écloront de ses œufs. (La texture du pain pollinique – solide ou liquide – engrangé par les femelles d’abeilles sauvages pour leur progéniture varie suivant leur famille d’appartenance, toutes n’utilisant pas les mêmes quantités de nectar floral – ou d’huile florale, pour les espèces qui substituent celle-ci au nectar – afin d’amalgamer les grains de pollen.) Peut-être s’agit-il ici d’un nid d’osmie rousse (Osmia bicornis, anciennement baptisée O. rufa), dont les cellules « contiennent une provision et un œuf plus ou moins recouverts d’une couche de pollen sec. » Outre du nectar floral, « les femelles incorporent à la pâtée pollinique une certaine quantité de sécrétions salivaires qui ‘‘digèrent’’ le cytoplasme des grains ».[25] L’osmie cornue (O. cornuta) et l’osmie rousse aménagent couramment leur nid dans les tiges creuses (espèces caulicoles, du latin caulis, « tige »), à l’instar d’autres Mégachilidées du genre Megachile.

                51. et 52. Murs de granges en torchis, pans de bois et pierre de grès dans le Domfrontais, région bocagère du département de l’Orne (Normandie). Le torchis est un mélange de paille et de terre et le grès armoricain, une roche très robuste, est valorisé dans l’élaboration du soubassement des maisons et de leurs dépendances : jadis, la diversité géologique des sous-sols se reflétait dans les bâtisses humaines. Ces édifices traditionnels des siècles passés plus ou moins restaurés, encore présents à l’état de reliques dans les paysages ruraux, offraient beaucoup de microhabitats de qualité aux invertébrés, dont les abeilles sauvages cavicoles comme les Mégachilidés, les Hylaeus ou certains Apidés, les anfractuosités, crevasses et interstices creusés par l’action conjuguée du temps qui passe, des intempéries et de la petite faune dans ces substrats locaux naturels que sont le torchis, le bois des colombages et les murets de pierre leur fournissant maints abris durables pour nidifier et s’abriter du mauvais temps ou des prédateurs.

Dans les deux cas, on notera la belle quantité de microhabitats disponibles pour l’entomofaune et la petite faune en général dans ces bâtisses des temps jadis non restaurées : aux parois non lissées, aux cavités non obturées par du mortier de jointement. Outre les microcavités utiles aux insectes – dont les auxiliaires de culture tel les pollinisateurs sauvages cavicoles –, les bâtiments anciens en pierre, pans de bois et/ou torchis possédaient des niches ou des renfoncements (sous les toits, entre des pierres…) favorables à la nidification des chiroptères et des oiseaux, dont la chouette chevêche ou le moineau domestique, espèces emblématiques d’un compagnonnage millénaire avec les humains. Or, si l’hécatombe des oiseaux européens est en majeure partie due à l’agriculture intensive et à l’usage d’agrotoxiques qui les empoisonnent et tuent les insectes dont ils s’alimentent (le déclin de l’avifaune des milieux agricoles s’élève à 57 % depuis 40 ans !), dans le cas du moineau par exemple, commensal des milieux ruraux et urbains, s’ajoutent les effets délétères de l’urbanisation moderne entraînant la disparition de leurs sites de nourrissage (espaces verts, friches, etc.), mais aussi de nidification, et ce, en raison de la construction et de la réhabilitation exponentielles d’habitations humaines totalement dépourvues de cavités tant dans les murs que sous les toits – toits, dans les zones pavillonnaires actuelles, qui n’existent même plus[27].

« Du torchis pour les abeilles sauvages

Les abeilles telles que les anthophores nichent naturellement en creusant des galeries dans les sols argileux des talus. Elles apprécient davantage les parois verticales aux talus en pente car leurs nids y sont mieux protégés de la pluie. Jadis, ces abeilles trouvaient dans le torchis des maisons à colombages un habitat de substitution à ces talus naturels. Aujourd’hui, le ciment a remplacé le mortier, les briques ont remplacé le torchis et les talus sont souvent consolidés par du béton, matériaux trop durs pour que les abeilles puissent y creuser leurs nids.

On peut recréer cet habitat de substitution en offrant à ces abeilles des panneaux d’argile. En voici la recette[28]. »

                Les exigences particulières des abeilles cavicoles, caulicoles ou rubicoles comme les Mégachilidés, certains Colletidés ou Apidés les rendent inaptes à s’adapter, en termes de nidification, mais aussi d’alimentation, aux terres désolées, désertifiées, monopolisées par les monocultures de céréales typiques des agrosystèmes intensifs. Beaucoup d’abeilles à langue longue (comme les Mégachilidés et les Apidés) sont d’excellentes pollinisatrices des Fabacées protéagineuses cultivées (trèfle, sainfoin, luzerne, gesse, pois protéagineux, féverole, lupin…), fourragères utiles à l’élevage du bétail dont la culture a terriblement régressé en France ces dernières décennies, les animaux d’élevage concentrationnaire consommant plutôt des tourteaux de soja OGM glyphosaté issus principalement de la déforestation en Amérique latine… Non content de ravager la flore, la faune et les écosystèmes locaux (épandages de lisier générateurs de pollution des sols, des littoraux, des eaux douces/marines et de l’air : ammoniac ; enrichissement des sols prairiaux en azote, source d’éradication de la flore mellifère amatrice de sols pauvres ; intoxication de la faune sauvage par les antiparasitaires, dont les abeilles et autres pollinisateurs[29], etc.), l’élevage industriel, qui ne cesse d’étendre les tentacules de ses sombres méfaits dans l’ouest de la France particulièrement, contribue très activement à la dévastation d’écosystèmes naturels ailleurs dans le monde via l’alimentation des pauvres bêtes élevées de la sorte (les exemples les plus connus étant ceux de la forêt amazonienne et du cerrado brésilien décimés par la production intensive d’aliments d’exportation pour le bétail européen notamment).

Financiarisation et mondialisation du modèle agricole dominant dégradent puissamment la santé de nos paysages, de la flore et de la faune sauvages, mais aussi la nôtre ! En effet, la contribution des comestibles issus de la pollinisation par la faune floricole à la diversité de nos régimes alimentaires est capitale, puisqu’elle est seule à garantir un apport vitaminique suffisant (via les fruits et légumes surtout). Or, de sérieux déficits de pollinisation sont déjà avérés en Europe et dans d’autres pays du monde ; par exemple, une récente étude parle « des limitations considérables dans les services de pollinisation des pommes, en particulier en Asie, en Europe et en Amérique du Sud » et conseille, afin d’y remédier, de « conserver les abeilles sauvages et d’améliorer leur abondance et leur diversité[30] ». Une autre étude également récente a par exemple fait la démonstration que les pertes mondiales de pollinisateurs entraînent au moins 500 000 décès humains prématurés par an[31]. Et une très belle recherche finlandaise atteste du lien entre la variété paysagère (forêts, bocages, prés, ville, etc.) du territoire où l’on vit – la variété des plantes à fleur qui s’y épanouissent – et la susceptibilité allergique humaine ou atopie (asthme, maladies cutanées…) et ce, via l’impact du paysage (de sa composition végétale) sur le microbiote cutané humain[32].

La santé des pollinisateurs, des humains et de la biodiversité en général est positivement reliée à la variété botanique des paysages.

                                               Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteure.

Références

[1] Sirami C., « Comment gérer les paysages agricoles pour protéger la biodiversité tout en produisant suffisamment de nourriture pour la population humaine ? », séminaire au Collège de France, mars 2024. www.college-de-france.fr/fr/agenda/seminaire/interactions-plantes-pollinisateurs-hier-aujourd-hui-et-demain/comment-gerer-les-paysages-agricoles-pour-proteger-la-biodiversite-tout-en-produisant-suffisamment

[2] « La perception du monde agricole par les Français est globalement positive, excepté pour les risques liés aux pesticides et à la pollution de l’air. » Commissariat général au développement durable, Environnement & agriculture – Les chiffres clés – Édition 2018, p. 5 : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-06/datalab-36-environnement-agriculture-les-cc-edition-2018-juin2018.pdf

[3] Alsace Nature, 10 principes de gestion des zones herbeuses pour épargner la faune et la flore, 2019, p. 34.

[4] Nord Nature Chico Mendès, La gestion différenciée des linéaires. État des lieux, 2008-2009, p. 7. www.gestiondifferenciee.org/sites/default/files/documents/ressources/fichiers/la-gestion-differenciee-des-lineaires-etat-des-lieux-mgd-et-pnr-des-caps-et-marais-dopale-2009.pdf

[5] http://sapoll.eu/liste-rouge-des-abeilles-de-belgique-un-constat-alarmant

Il n’existe pas de Liste rouge pour les abeilles en France ! « Certaines espèces d’abeilles sont protégées en Suisse, elles le sont toutes en Allemagne…. En France, aucune espèce d’abeille n’est inscrite sur une liste d’espèces protégées, hormis certains bourdons en région Île-de-France. » Observatoire des Abeilles : https://oabeilles.net/listes-rouges

[6] « Les herbicides sont le type de pesticides le plus largement appliqué et sont largement considérés comme ‘‘sans danger pour les abeilles’’ par les organismes de réglementation qui autorisent explicitement leur application directement sur les abeilles butineuses. Notre objectif était de tester les effets de mortalité liés à la pulvérisation de la marque d’herbicide la plus populaire au monde (Roundup®) directement sur les bourdons Bombus terrestris audax. Les abeilles ont présenté une mortalité de 94 % avec Roundup® Ready-To-Use® et de 30 % avec Roundup® ProActive®, sur une période de 24 heures. Weedol® n’a pas provoqué de mortalité significative, ce qui prouve que l’ingrédient actif, le glyphosate, n’est pas la cause de la mortalité. Les 96 % de mortalité causés par Roundup® No Glyphosate confirment cette conclusion. La mortalité dépendante de la dose causée par Roundup® Ready-To-Use confirme également sa toxicité aiguë. Les produits Roundup® ont provoqué un enchevêtrement complet des poils du corps des abeilles, ce qui suggère que les surfactants ou d’autres coformulants contenus dans les produits Roundup® peuvent provoquer la mort en incapacitant le système d’échange gazeux. Ces résultats de mortalité démontrent que les produits Roundup® représentent un danger important pour les abeilles, tant dans les systèmes agricoles qu’urbains, et que l’exposition des abeilles à ces produits doit être limitée. » Straw E. A., Carpentier E. N., & Brown M. J., ‘‘Roundup causes high levels of mortality following contact exposure in bumble bees’’, Journal of Applied Ecology, 58 (6), 2021, p. 1167-1176. https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1365-2664.13867

 « Les produits chimiques fongicides et herbicides sont couramment appliqués dans les systèmes de production agricole et autres paysages agricoles pendant les périodes de floraison, lesquelles coïncident avec le moment des services de pollinisation dépendant des abeilles chez de nombreuses espèces végétales. En conséquence, les abeilles peuvent être exposées à ces pesticides lorsqu’elles butinent des cultures et d’autres plantes à fleurs dans le paysage où ils ont été administrés. Des études en laboratoire et en semi-terrain simulant ces scénarios d’exposition aux pesticides ont démontré des impacts mortels et sublétaux [qui entraînent un état proche de la mort] sur les espèces d’abeilles domestiques Apis et non-Apis. L’exposition aux fongicides et aux herbicides a également été tenue responsable de changements génétiques et moléculaires chez les abeilles. Les herbicides peuvent également avoir un impact indirect sur les abeilles en raison de la diminution des mauvaises herbes et autres plantes à fleurs qui servent de ressources nutritives aux butineuses. » Belsky J., & Joshi N. K., ‘‘Effects of fungicide and herbicide chemical exposure on Apis and non-Apis bees in agricultural landscape’’, Frontiers in Environmental Science, 8, 2020, 522888. www.frontiersin.org/articles/10.3389/fenvs.2020.00081/full?ref=ambrook

[7] Chambres d’agriculture de Normandie, « Réglementation et traitements » : https://normandie.chambres-agriculture.fr/conseils-et-services/produire-thematiques/cultures/phytosanitaires/reglementation-et-traitements

[8] https://agriculture-de-conservation.com/sites/agriculture-de-conservation.com/IMG/pdf/glyphosate-suisse.pdf 

[9] • La cellule Déméter criminalise le fait de remettre en question l’agriculture intensive ! Le 27 février 2020, dans un courrier adressé au Premier ministre, 28 associations demandent la dissolution immédiate de cette cellule, « condition indispensable à l’apaisement des relations avec les agriculteurs ». www.fne.asso.fr/communiques/agriculture-27-associations-demandent-la-dissolution-de-la-cellule-demeter

« Les propositions législatives de la République en Marche [Cellule Déméter, loi sécurité globale, loi séparatisme, projet de fichage massif des militant·es politiques…] visent à saper nos libertés, à protéger les industriels et les activités portant atteinte à l’environnement », « Libertés fondamentales : la chasse continue », Greenpeace, janvier 2021. www.greenpeace.fr/libertes-fondamentales-la-chasse-continue/?utm_medium=210129_PushInfo_newsletter_44197&utm_source=email&utm_campaign=Instit-Newsletter

« Une mission d’information parlementaire pilotée par Les Républicains et La République en marche demande de ‘‘renforcer l’arsenal pénal’’ contre ‘‘les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse’’. Les propositions pourraient être inscrites dans la loi, une perspective qui inquiète fortement les militants écologistes ou antispécistes ». Astier M., d’Allens G., « Le rapport parlementaire qui veut mettre les militants écologistes en prison », Reporterre, janvier 2021. https://reporterre.net

[10] « S’il fallait dresser le portrait d’une abeille sauvage type de nos régions, il s’agirait très probablement d’une espèce terricole, c’est-à-dire qui fait son nid dans le sol. C’est le cas de toutes les espèces d’Andrénidés, d’Halictidés et le Melittidés, qui n’utilisent aucun matériau dans la confection de leur nid. Chez les Collétidés, toutes les collètes (genre Colletes) sont terricoles, de même que, chez les Apidés, les anthophores (genres Anthophora, Amegilla, Habropoda) et les eucères (genres Eucera, Tetralonia, Synhalonia, Tetraloniella). Chez les Mégachilidés, certaines espèces font leur nid dans le sol, mais ont systématiquement recours à des matériaux [résine d’arbre, feuilles, pétales de fleur…]. » Vereecken N., Découvrir et protéger nos abeilles sauvages, Glénat, 2017, p. 78.

[11] Le microbiome qualifie l’aire de vie occupée par les microbiotes d’un organisme vivant, l’ensemble des microbiotes de cet organisme et la totalité des génomes de son microbiote. Le microbiote, quant à lui, « est l’ensemble des micro-organismes — bactéries, microchampignons, protistes — vivant dans un environnement spécifique (appelé microbiome) chez un hôte (animal : zoobiote ; végétal : phytobiote ; sol : microbiote tellurique ; air : aérobiote). » (Wikipedia.)

[12] Des chercheurs ont étudié les effets oraux et topiques de diverses concentrations de glyphosate dans une formulation herbicide sur le microbiote intestinal d’abeilles mellifères et sur leur santé dans des conditions de laboratoire et de terrain. Dans toutes ces conditions, la formulation « a affecté l’abondance de bactéries bénéfiques dans l’intestin des abeilles de manière dose-dépendante. […] les abeilles exposées à la formulation étaient plus susceptibles de disparaître de la colonie une fois réintroduites après exposition. » Les ouvrières des ruches exposées à l’agent pathogène Serratia marcescens présentaient une mortalité accrue par rapport à celles des ruches témoins. « Lors d’expériences sur le terrain, du glyphosate a été détecté dans le miel collecté dans les ruches exposées, démontrant que les ouvrières transfèrent des xénobiotiques à la ruche, prolongeant ainsi l’exposition et augmentant les risques d’exposition des abeilles récemment émergées. Ces résultats montrent que différentes voies d’exposition à l’herbicide à base de glyphosate peuvent affecter les abeilles domestiques et leur microbiote intestinal. » Motta E. V., Mak M., De Jong T. K. et al., ‘‘Oral or topical exposure to glyphosate in herbicide formulation impacts the gut microbiota and survival rates of honey bees’’, Applied and environmental microbiology, 86 (18), 2020, e01150-20. https://journals.asm.org/doi/full/10.1128/aem.01150-20

Une autre étude a caractérisé les effets d’insecticides et de fongicides (fréquemment détectés dans le pain d’abeille) sur le microbiome de la cuticule des abeilles mellifères. Ses résultats démontrent que ces poisons « ont des effets néfastes sur le microbiome cuticulaire des abeilles domestiques » et qu’en mélange (effet cocktail), ils ont souvent des impacts négatifs plus importants sur la communauté microbienne cuticulaire que seuls, ce qui n’est pas sans « conséquences considérables sur la santé des abeilles ». Reiß F., Schuhmann A., Sohl L., Thamm M., Scheiner R., & Noll M., ‘‘Fungicides and insecticides can alter the microbial community on the cuticle of honey bees’’, Frontiers in Microbiology, 14, 2023, 1271498. www.frontiersin.org/journals/microbiology/articles/10.3389/fmicb.2023.1271498/full

[13] Voir en replay le documentaire « Parcs naturels : la grande mascarade », France 5, 2023. www.france.tv/france-5/sur-le-front/4673350-parcs-naturels-la-grande-mascarade.html

[14] Lucas É., « Vol et pillage chez les arthropodes : du cleptoparasitisme au parasitisme social », Bulletin de la Société d’entomologie du Québec, sans date, p. 1 www.laboluttebio.uqam.ca/wordpress/wp-content/uploads/2017/08/PUBLI-SCL-05-1997-Lucas.pdf

[15] Bensimon C., « les parasites jouent un rôle moteur dans l’évolution du vivant », Libération, 2005. https://www.liberation.fr/week-end/2005/06/11/les-parasites-jouent-un-role-moteur-dans-l-evolution-du-vivant_523275

[16] Clévenot E., « Trompeur, le label HVE attaqué par l’agriculture bio », Reporterre, 2023. https://reporterre.net

« Le label HVE trompe le consommateur, la justice doit l’interdire », Agir pour l’environnement, 2023. www.agirpourlenvironnement.org/communiques-presse/le-label-hve-trompe-le-consommateur-la-justice-doit-l-interdire

[17] https://normandie.chambres-agriculture.fr/conseils-et-services/produire-thematiques/cultures/phytosanitaires/reglementation-et-traitements

[18] Pardo A., & Borges P. A., ‘‘Worldwide importance of insect pollination in apple orchards: A review’’, Agriculture, Ecosystems & Environment, 293, 2020, 106839. www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167880920300244

[19] Sur cet aspect précis, se reporter à : Avisse I., « Le système de caste et la complexité de l’organisation sociale d’une abeille sauvage de nos régions, l’halicte de la scabieuse (Halictus scabiosae) », La Santé de l’abeille, n° 283, janvier-février 2018. https://oabeilles.net/wp-content/uploads/2020/05/LSA-Halicte-de-la-scabieuse.pdf

[20] Se reporter au bel article sur les collètes, leur écologie de nidification notamment, dans L’Argiope, la revue de l’association Manche-Nature, n° 91, hiver 2016 : https://manche-nature.fr/wp-content/uploads/2020/02/Argiope91_Colletidae_2016.pdf

[21] Vereecken N., Jacobi N., Abeilles sauvages. Un guide + un carnet de terrain, Glénat, 2018, p. 26-27. 

[22] Vereecken N., Jacobi N., op. cit., p. 17.

[23] Ibid.

[24] À Toronto, des nids d’espèces d’abeilles sauvages urbaines recourant à des matières plastiques pour construire leurs chambres larvaires ont été découverts : Megachile campanulae a valorisé du polyuréthane en remplacement de résine de pin et Megachile rotundata, des fragments de sacs plastiques en lieu et place de morceaux de feuilles. www.maxisciences.com/sciences/geologie/des-abeilles-sauvages-utilisent-du-plastique-pour-construire-leur-nid_art32098.html

Dans une ferme productrice de graines de chicorée en Argentine, un nid de Megachile (genre d’abeilles européennes importées en Amérique latine pour la pollinisation de diverses cultures) a révélé des loges à couvain entièrement façonnées avec des bouts de plastique. Une intention délibérée de la femelle ou un choix par défaut ?…  https://link.springer.com/article/10.1007/s13592-019-00635-6

[25] « O. cornuta approvisionne complètement une cellule en 4 heures 30 min- 5 heures. Il lui faut donc effectuer 36 à 40 voyages de butinage. 0. rufa approvisionne une cellule dans les mêmes temps qu’0. cornuta. Il lui faut effectuer une trentaine de voyages de butinage par cellule. Au cours d’une journée ensoleillée on peut estimer qu’une Osmie effectue 70 à 100 voyages de butinage (compte tenu des travaux de maçonnerie effectués pour fermer les cellules). » Taséi J.-N., « Le comportement de nidification chez Osmia cornuta et O. rufa (Hymenoptera : Megachilidae) ». www.apidologie.org/articles/apido/pdf/1973/03/Apidologie_0044-8435_1973_4_3_ART0001.pdf

[26] « Le plus souvent associée à l’interface entre forêt et prairie où les renoncules sont présentes », Chelostoma florisomme (Megachilidae) « a été observée en train de nidifier dans le chaume […] et peut-être des cavités similaires, présentes naturellement, comme de vieilles tiges de roseaux, ailleurs ». Bwars (Bees, wasps & ants) : https://bwars.com/bee/megachilidae/chelostoma-florisomne

[27] « L’une des probables causes de la disparition des moineaux domestiques dans le ciel de la capitale [Paris] est la raréfaction des sites de nidification. Car si certains bâtiments modernes possèdent des renfoncements, ‘‘la tendance assez récente à concevoir les façades très lisses, parce que souvent entièrement vitrées, ne favorise pas la biodiversité en général, et la nidification du moineau domestique en particulier car il ne peut y trouver de cavités’’, notent les auteurs du rapport. D’autres animaux, comme les chauves-souris, font également les frais de ces surfaces plates. Et lorsque les bâtiments plus anciens sont rénovés, les ouvriers s’appliquent à boucher les cavités existantes pour que l’immeuble gagne en isolation. Si ces travaux sont nécessaires, ils ont pour conséquence d’empêcher la mise à l’abri des moineaux [mais aussi des insectes cavicoles]. » Tassart A.-S., « En 13 ans, la population de moineaux domestiques a chuté de 73 % à Paris », Sciences et avenir, 2017. www.sciencesetavenir.fr/animaux/oiseaux/en-13-ans-la-population-de-moineaux-domestiques-a-chute-de-73-a-paris_116522

Comme l’écrit bien l’auteur naturaliste Gérard Guillot, « même des mesures écologiques souhaitables [comme les travaux d’isolation des bâtiments d’habitation et autres] peuvent avoir des conséquences indirectes négatives pour la biodiversité ! ». À lire : « Des bâtiments améliorés… sauf pour les moineaux ! » dans « Le moineau exclu des beaux quartiers », Guillot G., Zoom Nature. www.zoom-nature.fr/le-moineau-domestique-exclu-des-beaux-quartiers

[28] Lire la suite ici : Terzo M. et Vereecken N., Un jardin pour les abeilles sauvages : comment les accueillir, les observer et les protéger, Service public fédéral « Santé, Sécurité de la Chaîne Alimentaire & Environnement », Belgique, 2014, p. 29. Téléchargement du PDF : www.jedonnevieamaplanete.be/fr/biodiversite/publications/un-jardin-pour-les-abeilles-sauvages_596.aspx

[29] « Les insecticides neurotropes sont des  substances très toxiques pour tous les  arthropodes,  y  compris  des  espèces non-cibles comme les abeilles. En élevage, ils sont utilisés  à  plusieurs fins. Ils  se  déclinent  d’une part  en traitements  vétérinaires  pour  soigner  les  infestations parasitaires  et d’autre part  en  produits  biocides pour désinsectiser les véhicules  et  bâtiments  d’élevage. » Zaninotto V., Bonmatin J.-M., « Comment les pesticides utilisés en élevage menacent les abeilles. Traitements vétérinaires, produits biocides et insectes pollinisateurs », UNAF – CNTESA – FFAP – BeeLife, 2018. www.researchgate.net/publication/346656295_Comment_les_pesticides_utilises…

[30] Olhnuud A., Liu Y., Makowski D. et al., ‘‘Pollination deficits and contributions of pollinators in apple production: A global meta‐analysis’’, Journal of Applied Ecology, 59 (12), 2022, p. 2911-2921. https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1365-2664.14279

[31] « Les trois quarts des cultures nécessitent une pollinisation mais les populations de nombreux insectes sont en fort déclin. La pollinisation inadéquate qui en résulte a entraîné une perte de 3 à 5 % de la production de fruits, de légumes et de noix, selon la recherche. La moindre consommation de ces aliments signifie qu’environ 1 % des décès peut désormais être attribué à la perte de pollinisateurs, ont indiqué les scientifiques. Les chercheurs ont pris en compte les décès dus aux maladies cardiaques, aux accidents vasculaires cérébraux, au diabète et à certains cancers, qui peuvent tous être réduits grâce à une alimentation plus saine. L’étude est la première à quantifier les conséquences sur la santé humaine d’une insuffisance de pollinisateurs sauvages. » Carrington D., ‘‘Global pollinator losses causing 500,000 early deaths a year – study’’, The Guardian, 2023. www.theguardian.com/environment/2023/jan/09/global-pollinator-losses-causing…

Smith M. R., Mueller N. D., Springmann M. et al., ‘‘Pollinator deficits, food consumption, and consequences for human health: a modeling study’’, Environmental health perspectives, 130 (12), 2022, 127003. https://ehp.niehs.nih.gov/doi/full/10.1289/EHP10947

[32] La prévalence croissante des allergies et autres maladies inflammatoires chroniques parmi les populations urbaines du globe n’est pas sans lien avec le déclin rapide de la biodiversité. En effet, un contact réduit des personnes avec la nature et le biodivers « nuit au microbiote commensal humain et à sa capacité immunomodulatrice » : « la biodiversité environnementale à proximité des domiciles des sujets de l’étude a influencé la composition des classes bactériennes sur leur peau. Par rapport aux individus en bonne santé, les individus atopiques [disposés à l’allergie] présentaient une biodiversité environnementale plus faible à proximité de leur domicile et une diversité générique de gammaprotéobactéries plus faible sur leur peau. […] Chez les individus sains, mais pas chez les individus atopiques, l’expression de l’IL-10, une cytokine anti-inflammatoire clé dans la tolérance immunologique, était positivement corrélée à l’abondance du genre gammaprotéobactérien Acinetobacter sur la peau. Ces résultats soulèvent des questions fondamentales sur les conséquences de la perte de biodiversité tant sur les affections allergiques que sur la santé publique en général. » Hanski I., von Hertzen L., Fyhrquist N. et al., ‘‘Environmental biodiversity, human microbiota, and allergy are interrelated’’, Proceedings of the National Academy of Sciences, 109 (21), 2012, 8334-8339. www.pnas.org/doi/abs/10.1073/pnas.1205624109st positivement reliée à la variété botanique des paysages.

8 Comments

  1. Un article extrêmement précis et largement argumenté, à faire tourner chez tous nos amis, tant la confusion générale règne au sujet des abeilles sauvages, trop souvent confondues avec les mellifères vagabondes (également bienvenues). Une prise de conscience de l’omniprésence pesticide n’est pas encore acquise quoiqu’on en pense, qu’il reste utile de documenter comme ici. Merci Isabelle pour cette immersion dans le monde des abeilles sauvages, terricoles ou non, qu’il faut protéger !

    • Merci à vous Jean-François de votre commentaire. En effet, il est regrettable que l’ « omniprésence pesticide » soit, comme vous le dites, peu conscientisée du grand-public, au point que beaucoup se détournent de l’agriculture bio, en grande difficulté actuellement, parce qu’insuffisamment soutenue par les consommateurs. Pourtant, la plupart d’entre eux reçoivent sur leur facture d’eau la mention de non conformité de leur eau du robinet au sujet des pesticides et de leurs métabolites… Par exemple sur la mienne (2023), sur le feuillet « Quelle eau buvez-vous ? » qui l’accompagne (émis par l’Agence régionale de santé Normandie), je lis que sur 13 prélèvements d’eau, aucun n’est conforme aux normes en matière de résidus d’agrotoxiques : « Conformité : 0 % »… est-il donc écrit… Aussi, en raison de « dépassements réguliers de la limite réglementaire » – je cite -, l’eau du robinet de mon territoire est-elle déclarée « de qualité insuffisante »… Et combien sommes-nous en France dans cette situation ? Bien nombreux, à n’en pas douter. Cela émeut-il les habitant.e.s ? Il semble que non, pour qui le pouvoir d’achat et l’insécurité liée à l’immigration semblent des problèmes bien plus préoccupants. Ces personnes font des enfants, leur donnent des pesticides à boire, à manger et à respirer (les terres cultivées s’avérant en expansion, nous sommes de plus en plus nombreux à vivre en bordure de champs intoxiqués, dont nous inhalons les délicates émanations délétères) et le problème le plus grave que nous ayons à gérer en France actuellement, si l’on en juge d’après le résultat des dernières élections législatives, sont les deux problématiques soulevées plus haut…
      Ce midi, au bulletin d’infos audible sur France culture, j’entendais un responsable de la FNSEA se plaindre du fait que les rendements en blé sont cette année fort mauvais… Les causes avancées ? « Un excès d’eau, une forte pression des maladies et adventices, des températures trop faibles pendant la phase de reproduction et un manque d’ensoleillement »… Mais un sol sain, riche en microchampignons, vers, arthropodes, bactéries, etc., et en matières organiques, un sol vivant qui donc respire, où l’eau circule par les microgaleries forées par les vers de terre n’est jamais engorgé d’eau comme le sont tant de champs cultivés aujourd’hui, qui signalent tassements des sols, asphyxie, mort de la vie organique… En outre, beaucoup de prédateurs et adventices de cultures sont résistants aux biocides, un combat perdu d’avance donc, que continuent pourtant à mener maints agriculteurs via ces produites tête-de-mort… qui ont anéanti, de concert avec l’anéantissement de leurs habits (haies, boisés, fourrés…) tous les auxiliaires de culture. Alors que maintes solutions et alternatives agronomiques existent et ont fait leurs preuves ! De surcroît, l’agriculture intensive produit énormément de gaz à effets de serre : https://www.lemonde.fr/chaleur-humaine/article/2024/02/20/pourquoi-l-agriculture-emet-elle-autant-de-gaz-a-effet-de-serre_6217477_6125299.html Aussi joue-t-elle un rôle majeur dans le dérèglement climatique… En résumé, ce responsable de la FNSEA se plaint des conséquences des pratiques agricoles que les tenants de ce syndicat mettent en oeuvre, un comble ! Alors oui, que les rendements chutent, rien que de très attendu et comment imaginer que dans un tel contexte de ravage accéléré des sols et des milieux par ce mode d’exploitation des terres, il puisse en aller autrement ?! C’est le contraire qui serait hallucinant ! L’agriculture productiviste a voulu ignorer les règles fondamentales qui régissent la vie sur Terre (notamment celle voulant qu’il faille rendre aux milieux ce qu’on lui prend : principe de réciprocité), elle a voulu imposer ses lois contre nature aux paysages et à leurs habitants non humains, leur faire rendre gorge au forceps et entend manifestement toujours poursuivre sur cette voie, encouragée en cela par une caste politique majoritairement corrompue… Mais les citoyen.ne.s ne jugent pas qu’il s’agisse là de l’un des problèmes les plus graves que l’humanité doit résoudre !

  2. Mes voisins ont promis de me faire interner car je ne tonds pas une partie de mon terrain, magnifiquement peuplé d’insectes et autres petits habitants ! Les gendarmes ont fait des descentes musclées : au lieu d’ouvrir, j’ai fait un signalement par courriel à leur direction à Paris … le calme est revenu. C’est la meilleure méthode, une fois embarqué(e) vous êtes piégé(e).

    • Merci de votre commentaire.
      Avez-vous lu L’Arbre-monde de Richard Powers (2018), ouvrage défini comme « roman écologique » ? Un récit choral qui retrace le parcours de divers personnages d’horizons très différents en lien avec des arbres ou des écosystèmes arborés. Le parcours d’écologistes au sens très varié de ce terme (et de la réalité qu’il recouvre). L’un des chapitres de ce roman très sombre (l’auteur ne cache guère le peu d’illusions qu’il se fait au sujet des combats écologistes dans ce monde gouverné par l’appétit de lucre d’une part, l’indifférence au biodivers d’autre part) présente un couple dont l’homme, atteint d’un AVC et condamné à l’immobilité, prend un plaisir immense à regarder par la fenêtre de sa maison son jardin évoluer, les bêtes le fréquenter. Au point qu’ils prennent avec sa femme la décision de n’y plus intervenir, de le laisser, comme on dit aujourd’hui, en libre évolution. Malheureusement, c’est sans compter la hargne conformiste, l’autoritaire volonté de formatage de leurs voisins qui vont leur faire une guerre acharnée pour qu’ils recommencent à gérer cet espace comme eux-mêmes le font… Comme doit l’être, selon leurs vues mesquines, contre-vitales et étriquées un jardin pavillonnaire… Je vous laisse découvrir l’issue de ce douloureux combat dans le livre…

      • J’ai résumé, c’est un peu plus compliqué que ça. Il ne fait pas bon être écolo militant ! un ami faucheur d’OGM avait été accusé de publication de tracts qu’il n’avait pas rédigés : nous l’avions tiré d’affaire en téléphonant très nombreux au poste de police, un bon moyen pour les calmer. A harcèlement policier … harcèlement téléphonique. Il faut dénoncer ces bavures de flics-gendarmes-FDO qui veulent aussi nous faire payer des élections « à gauche » et créent sciemment un climat d’insécurité, en laissant faire les voyous, pour faire voter RN.

  3. On en parle pas assez de ces abeilles sauvages, certainement parce qu’elles nous rapportent rien à part la biodiversité…

    • Merci de votre commentaire.
      Même si l’on en parle, en effet, insuffisamment, les abeilles sauvages nous rapportent (pour reprendre votre terme) beaucoup d’un point de vue financier, en ce qu’elles pollinisent avec maestria les plantes cultivées comme les fruitiers et les grandes cultures entomophiles : colza, tournesol, légumineuses et protéagineuses…

    • Bonjour Nobru Chero et merci pour votre lecture.

      Vous avez raison : on ne parle pas assez des abeilles sauvages, ni des pollinisateurs, ni même des insectes en général… C’est peut-être parce que la biodiversité que vous évoquez dans votre commentaire est perçue comme un décor, une sorte d’ornement bien sympathique mais qui n’apporte rien de plus ou ne « sert à rien »… Or il s’agit d’une perception ou d’une représentation particulièrement éloignées du réel, qui témoignent d’une profonde méconnaissance naturaliste.

      Dans son article, Isabelle Avisse met tout son talent à combler une partie de ce grand vide ; elle montre selon nous la profonde beauté des abeilles sauvages et la finesse extrême de leurs comportements, et nous rappelle notamment qu’une certaine agriculture s’acharne à détruire — directement ou indirectement — ces êtres qui vitalisent pourtant leur milieu de vie. Ce faisant, elle pointe le fonctionnement réel des écosystèmes, ceux que nous menaçons par notre démesure et nos passions tristes, et sans l’équilibre desquels aucune société ne saurait pourtant se maintenir — quand bien même elle serait boursouflée de-technologie.

      Ces pollinisatrices incarnent des fonctionnalités écologiques qui rendent le monde habitable. Rien que ça.

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