Vie et mort des paysages. Agriculture intensive et abeilles sauvages. Part. 2

Accotements routiers, talus et bordures

La contamination des fleurs sauvages limitrophes des cultures par les agrotoxiques compromet l’aptitude des espaces semi-naturels à « servir de refuges et de sources de recolonisation »

               Qui n’a remarqué, marchant – ou tentant de marcher… – le long de parcelles culturales bordées de routes ou chemins ruraux, que maints agriculteurs labourent jusqu’aux bordures et hauts de talus, les arasant et détruisant progressivement au fil du temps ; n’abandonnant, au meilleur des cas, guère plus de 50 cm, souvent bien moins, aux marges enherbées séparant les champs cultivés de l’axe routier ou du chemin rural les longeant ?… Cupidité (gain de productivité) ? Négligence ? Dans tous les cas, ignorance ou mépris de ces milieux interstitiels, seuls refuges de la faune et de la flore sauvages dans les aires agricoles intensivement gérées. 

               1. 2. Talus dégradés par un agriculteur pendant les labours.

3. 4. 5. 6. Bords de champs arrosés d’herbicide en septembre par des agriculteurs, après les moissons.

Dans les campagnes gangrenées par l’agriculture mondialisée et jusque devant les maisons, écoles, Ehpads, centres de santé et autres lieux d’accueil du public… on observe les « tractoristes[3] » pulvériser (entre autres toxiques) des herbicides tous les mois de l’année ou presque… Les photos 5. et 6. attestent que l’agriculteur, outre « son[4] » champ, a herbicidé la bordure de celui-ci, mais aussi la presque totalité du chemin carrossable limitrophe !… Quelle est la cause de cet inadmissible – mais si couramment observable – phénomène de dérive ? Le traitement a-t-il été effectué lorsque le vent soufflait à plus de 19 km/h, ce que la réglementation interdit ? (Règlement régulièrement enfreint, aucune sanction ne pénalisant, dans les faits, les infracteurs[5].) Ou bien ces pulvérisations furent-elles volontairement effectuées afin d’annihiler les adventices poussant en bordure de parcelle, de crainte qu’elles ne la contaminent ? L’usage répété d’herbicides alimente pourtant un cercle vicieux, favorisant l’implantation d’indésirables singulièrement coriaces, d’espèces capables d’éviter les traitements par un cycle précoce (Poa annua) ou tardif (Solanum spp.), tolérant les traitements (Erigeron spp., Malva sylvestris…) ou leur résistant (séneçon, matricaire, ray-grass, vulpin…). Outre le fait que ces toxiques tuent par contact les insectes « arrosés » et leur progéniture (voir 1er volet), ils anéantissent les végétaux dont ils s’alimentent, où ils se reposent, s’abritent, se reproduisent et nidifient. Or, la présence de fleurs sauvages – messicoles[6], rudérales[7], adventices des cultures, flore prairiale et fleurs des arbres et arbustes – est indispensable au maintien des populations d’abeilles mellifères et sauvages et, plus largement, des communautés de pollinisateurs (autres hyménoptères, coléoptères, lépidoptères et diptères) dans les paysages agricoles, entomofaune floricole et auxiliaires des cultures (tels les carabes, coccinelles, chrysopes, guêpes parasites, forficules, punaises, syrphes… consommateurs d’agresseurs de plantes cultivées) dont le déclin est très majoritairement lié à l’empoisonnement des milieux par les biocides, ainsi qu’au morcellement, à la réduction et à l’anéantissement de leurs habitats et des corridors biologiques susceptibles de relier entre eux les espaces semi-naturels résiduels.

La biodiversité floristique et la présence d’éléments paysagers semi-naturels (prairies permanentes, vergers, bois, peuplements d’arbres et arbustes, vieux arbres, friches…) indispensables aux insectes en général décroissent d’autant plus vite dans les territoires agraires intensivement gérés que leur conversion en champs cultivés/pesticidés/traités aux engrais de synthèse s’accélère dangereusement, ainsi que l’artificialisation (asphaltisation/bétonisation) des terres agricoles. Le rôle fonctionnel de la diversité botanique au sein des paysages cultivés est pourtant avéré, les adventices, messicoles, rudérales évoluant au sein d’un réseau complexe où les communautés végétales et animales interagissent, participant, de concert avec les peuplements de ligneux (haies champêtres et boisés), espaces enherbés et cultures mellitophiles (tels le colza, le tournesol, les légumineusesfourragères : luzerne, trèfle blanc, trèfle incarnat, trèfle hybride, sainfoin, lotier… et protéagineuses : féverole, lupins) à la constitution d’une mosaïque paysagère indispensable au bon fonctionnement de l’agroécosystème (pollinisation des cultures, lutte biologique contre les ravageurs de culture et les adventices indésirables…). Or, en dépit de l’impératif scientifiquement fondé commandant sans procrastiner de restaurer l’hétérogénéité paysagère, la simplification, l’uniformisation, la désertification des paysages agraires ne cesse de gagner en ampleur dans maintes régions telles le Nord et l’Ouest de la France… En outre, lorsque les fleurs sauvages, vaille que vaille, subsistent dans ces milieux, au sein, en bordure de parcelles culturales ou dans les milieux semi-naturels limitrophes, elles renferment des quantités importantes, voire létales, de cocktails de poisons tels les fameux néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques extrêmement virulents responsables – de conserve avec d’autres insecticides, herbicides, fongicides, raticides, molluscicides, antiparasitaires… – du déclin de l’apidofaune[8], de trois quarts des insectes, des oiseaux des campagnes, des vers de terre[9], micro-organismes du sol et autres innombrables formes de vie des milieux aquatiques, aériens et terrestres. Commercialisés depuis les années 1980 et interdits en France en septembre 2018, les néonicotinoïdes ont été, sous pression de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, réautorisés à l’automne 2020 dans les cultures de betterave sucrière – et ce, bien que des alternatives existent[10], qui exigent des agriculteurs qu’ils changent leurs pratiques agronomiques… Or, les molécules de cette famille d’insecticides systémiques sont persistantes et rémanentes, subsistant parfois des années dans les sols où elles s’accumulent, contaminant les cultures suivantes, les cours d’eau, l’eau de pluie, l’air[11], les bords de champs et les plantes qui y poussent, ainsi que les milieux semi-naturels avoisinants. Extrêmement grave, la contamination de ces derniers par les cocktails de pesticides déversés dans les champs pourrait affecter la résilience des systèmes agraires « en empêchant toute possibilité pour ces zones d’agir comme refuges et sources de recolonisation », écrivent les auteurs d’une étude qui fit date sur les résidus de pesticides dans les sols et les vers de terre[12]. En 2023, la dérogation accordée aux betteraviers pour l’utilisation de ces produits interdits n’a pas été prolongée. Mais combien de temps faudra-t-il aux sols, aux eaux, aux airs, aux écosystèmes et donc aux organismes, pour s’en désintoxiquer ? Sachant qu’un produit interdit est rapidement remplacé par un autre, aussi toxique, voire davantage encore ! Ainsi le Movento, un insecticide systémique commercialisé par la société Bayer, vient-il, en 2024, d’obtenir une dérogation émise par le ministère de l’Agriculture pour le traitement des betteraves à sucre !

8. 9. Autre champ cultivé frangé de haies vives également pulvérisé d’herbicide en mars-avril avant d’être labouré.

En se promenant dans les champs cultivés en « conventionnel », il est fréquent d’observer que les pentes ou talus plus ou moins enherbés adjacents auxdits champs – et qui servent parfois d’interface entre ceux-ci et les pieds de haie survivantes – sont eux aussi herbicidés (photo 8.)… intentionnellement ou non (traitements effectués lorsque le vent souffle à plus de 19 km/h ?). À maints endroits des linéaires de ligneux longeant les monocultures, les pieds d’arbres/arbustes maléficient donc également des indésirables épandages (photo 9.). Or, ces alignements de haies rurales sont de précieux habitats pour les pollinisateurs (colonies de bourdons, abeilles terricoles et cavicoles, etc.) et maints autres auxiliaires des agriculteurs éjectés en dehors des surfaces cultivées (sur cette question, se reporter au 1er volet du présent article). Effectivement, comme Pelosi et al. (2021) le font savoir à juste titre, comment ces « habitats ‘‘hors champ’’ » constitutifs des si précieuses continuités écologiques – des lieux de vie contaminés également par les agrotoxiques, donc –, pourraient-ils « servir de refuges et de sources de recolonisation » des aires cultivées, une fois celles-ci ravagées par l’intensification des pratiques ? À défaut (et en attendant) d’interdire définitivement l’usage des poisons agricoles – un scénario infiniment désirable, que les pratiques agroécologiques couplées à une réduction du gaspillage alimentaire (qui s’élève à 40 % de la nourriture produite chaque année[13] !) et à la limitation de la consommation de protéines animales rendent éminemment plausible[14] –, la réglementation en matière d’épandages de biocides devrait donc évoluer, imposer aux agriculteurs « conventionnels » (dédommagés pour ce faire) l’aménagement d’une bande-tampon de 5 m de large minimum, voire bien davantage, entre les zones traitées et ces milieux de vie interstitiels, couloirs de circulation (trame verte[15]) de la faune et de la flore sauvages, mais aussi de la fonge et des microorganismes du sol (trame brune[16]) : toutes formes de vie tenues de mélanger leurs gènes avec ceux de leurs congénères plus éloignés géographiquement (la diversité génétique des espèces comme celle des individus au sein des espèces étant requises) afin de poursuivre la grande aventure du vivant, celle de l’évolution et de l’adaptation incessamment renouvelées de ses formes et de ses multiples manifestations aux changements environnementaux. Or, une importante étude a pu montrer que « la diversité des insectes perd 35 millions d’années d’histoire de l’évolution pour chaque augmentation de 10 % de la couverture agricole dans le paysage, ce qui représente une réduction de 49 % de l’histoire évolutive totale par rapport aux communautés des paysages à faible couverture agricole. » « C’est au total un bond de 230 millions d’années en arrière[17] » !

               Comme l’expliquent des écologues et des entomologistes, « la sensibilisation du monde agricole est un enjeu majeur des politiques de préservation de la biodiversité. Elle a lieu notamment auprès des chambres d’agriculture dans le cadre de l’animation des Plans Nationaux d’Actions (PNA) en faveur des espèces en danger. […] Dans la mise en œuvre du Plan gouvernemental en faveur des pollinisateurs, la sensibilisation et la formation interviennent dans le partage des bonnes pratiques au sein des filières et des cycles de production en favorisant les micro-habitats (infrastructures agro-écologiques), en développant les approches dites des ‘‘auxiliaires’’ et des ‘‘services rendus par la nature’’ dans les processus de ‘‘ré-ensauvagement’’ des exploitations agricoles[18]. »  

               Nul doute que dans le Calvados par exemple, où les pulvérisations d’agrotoxiques sur les micro-habitats de la flore et de la faune sauvages s’avèrent tristement ordinaires, la Chambre d’agriculture a encore bien du travail à faire pour sensibiliser les agriculteurs numériquement dominants à la préservation des pollinisateurs et des auxiliaires de culture via la protection, mieux, la valorisation, des infrastructures agroécologiques (IAE) : bandes enherbées, talus, fossés, haies champêtres, bosquets, lisières, arbres isolés, etc. !

 Abeilles sauvages et adventices, messicoles, rudérales

               Pionnières et annuelles, les messicoles (plantes des moissons) se développent spontanément sur les sols nus des cultures de céréales qu’elles accompagnent depuis des millénaires ; fragiles, elles ne résistent pas aux pratiques agricoles conventionnelles : labours, herbicides, fertilisation azotée des sols qui détériore l’écologie de leurs habitats – ces plantes, à l’instar de la flore mellifère des prairies, appréciant les sols pauvres en nutriments. De fait, les monocultures sont de nos jours tristement monochromes, beaucoup de ces compagnes des moissons étant disparues ou en très forte régression. Outre les pollinisateurs et autres auxiliaires de culture qu’elles nourrissent et abritent, leurs graines sont très appréciées de maints oiseaux des champs, tandis que d’autres parmi elles ont de longue date incorporé la pharmacopée traditionnelle (bleuet, coquelicot…) et l’alimentation humaine (citons la mâche dentée Valerianella dentata, salade de cueillette des siècles durant avant son acclimatation dans les potagers). Dans l’Eure par exemple, près de cent espèces de ces compagnes des moissons ont été identifiées[19]. « Partie intégrante de la biodiversité des espaces cultivés, caractéristique d’une agriculture respectueuse de l’environnement, la flore messicole s’amenuise… Allons-nous, par négligence ou méconnaissance, laisser disparaître ce patrimoine emblématique de nos campagnes ?[20] »

               Les décombres, friches urbaines, décharges, chantiers et autres terrains vagues, incultes et piétinés sont les milieux de prédilection des plantes rudérales. « C’est ici que l’on trouve le plus grand nombre d’espèces. Des lieux que peu de personnes considèrent comme dignes d’intérêt, et qui ne collent pas avec nos conceptions habituelles de l’esthétisme. Pourtant ils peuvent abriter une biodiversité incroyable, véritables mélanges de plantes de tous les horizons[21] ». Pour peu qu’ils ne soient pas traités aux herbicides ou broyés, les bords des routes et de chemins, lieux d’accueil des graines vagabondes, font parfois étalage d’une biodiversité impressionnante. « Les plantes voyagent souvent le long des axes que nous utilisons, empruntant nos propres moyens de transports. Ainsi les plantes méditerranéennes remontent vers le nord en suivant les routes. Autrefois les déjections des animaux de trait faisaient des bords des routes des terrains extrêmement riches en matière organique. Aujourd’hui les eaux d’écoulements, riches d’effluves azotées font la même chose, même si la pollution vient souvent s’y ajouter. Les plantes que l’on y rencontre sont donc souvent des plantes nitrophiles, demandant un fort ensoleillement[22]. »

               Ci-après, quelques exemples d’interactions entre abeilles sauvages et messicoles, rudérales et autres adventices.

Les coquelicots

               Chez les Anciens Grecs, qui utilisaient le coquelicot pour ses vertus narcotiques, cette messicole emblématique (à laquelle les anthocyanes confèrent sa somptueuse couleur rouge) fut associée à Déméter, la déesse des moissons, de l’agriculture et de la fertilité, qui avait tout pouvoir sur les cycles de la nature. Aussi, avoir donné le nom de cette divinité à la cellule de gendarmerie créée en 2019 par le gouvernement Macron afin de réprimer les actions, fussent-elles symboliques ! qui remettent en cause les pratiques agricoles intensives – lesquelles ont bel et bien fait disparaître les coquelicots et autres habitantes des moissons des champs cultivés ! –, avoir donné le nom de cette antique déité grecque tutélaire des moissons et des messicoles associées – partant, d’une agriculture respectueuse de la biodiversité – à une institution de basse police qui s’est tristement illustrée dans l’intimidation de militants écologistes associatifs, relève-t-il du cynisme le plus achevé… À l’intrinsèque vertu poétique d’une fleur s’il en est nourricière des abeilles, des oiseaux et de l’imaginaire humain répond l’insondable vulgarité d’appétits prédateurs/déprédateurs bien décidés semble-t-il à faire rendre gorge à tout ce qui vit et palpite sur la Terre et donc à faire taire toutes celles et ceux que ces mesquines et navrantes ambitions révoltent ! De fait, le coquelicot fut l’emblème d’un récent mouvement, « Nous voulons des coquelicots », appelant à la résistance contre les pesticides de synthèse : des centaines de rassemblements de citoyen.ne.s eurent lieu dans toute la France deux ans durant (2018-2020)[23].

Pour en revenir à la fleur elle-même, son importante production de pollen entre les floraisons des monocultures de colza et de tournesol – période où la démographie des abeilles mellifères augmente – la rend indispensable dans les campagnes infestées par les agrosystèmes mondialisés. Malheureusement, de nos jours, ce sont bien les déserts verts qui y tiennent le haut du pavé…

1. 2. Deux abeilles femelles de la famille des Halictidae (Lasioglossum calceatum, le lasioglosse commun et Halictus scabiosae, l’halicte de la scabieuse), dans des fleurs de coquelicot (Papaver rhoeas, Papaveraceae), messicole très pollinifère de loin la plus connue.

Le souci des champs

               Une autre messicole très appréciée des pollinisateurs, le souci des champs (Calendula arvensis) aux fleurs jaunes. « Il est devenu exceptionnel et menacé à l’état sauvage dans les Hauts-de-France. Aujourd’hui, on le trouve à l’état sauvage essentiellement dans le sud de l’Aisne, dans de très rares vignes de la vallée de la Marne peu ou non traitées avec des produits phytosanitaires[24]. » Il est en revanche encore assez commun en Occitanie.

4. Mégachile femelle recueillant activement nectar et pollen sur un souci des jardins : munies d’une brosse ventrale qu’elles frottent ou tapotent sur les anthères (organes mâles contenant le pollen) des fleurs à corolle ouverte – brosse de soies ventrales où elles stockent le pollen ainsi recueilli, qu’elles véhiculent jusqu’à leur nid –, les Mégachilidées sont d’excellentes pollinisatrices de ce type de fleurs.
4. Mégachile femelle recueillant activement nectar et pollen sur un souci des jardins : munies d’une brosse ventrale qu’elles frottent ou tapotent sur les anthères (organes mâles contenant le pollen) des fleurs à corolle ouverte – brosse de soies ventrales où elles stockent le pollen ainsi recueilli, qu’elles véhiculent jusqu’à leur nid –, les Mégachilidées sont d’excellentes pollinisatrices de ce type de fleurs.

Les bleuets

               Les bleuets (Cyanus segetum) sont des messicoles nectarifères et pollinifères pratiquement disparues elles aussi des cultures de céréales dont elles accompagnaient le cycle de développement depuis l’origine de l’agriculture au Moyen-Orient. Leurs pigments bleu vif furent longtemps valorisés dans la confection d’aquarelles. Attention à ne semer que des bleuets sauvages, les jachères fleuries renfermant le plus souvent des variétés horticoles aux fleurs plus grosses à double corolle, double rangée de « pétales ». En effet, les variétés horticoles de maintes fleurs sauvages valorisées à des fins décoratives dans les jardins sont souvent hybrides, stériles, ou à fleurs doubles : leurs étamines (organes mâles porteurs de pollen) sont transformées en pétales afin de donner plus de volume à la fleur. Elles ne produisent que peu, voire pas du tout, de pollen et de nectar, privant les pollinisateurs de ces indispensables provendes. L’implantation de variétés horticoles peut engendrer de surcroît la pollution génétique des espèces sauvages.

La nigelle de Damas

               La nigelle de Damas ou cheveux de Vénus (Nigella damascena) est une annuelle adventice messicole de la famille des Ranunculaceae appréciée des abeilles pour son nectar et son pollen. Le genre Nigella comprend 14 espèces d’annuelles toutes messicoles originaires d’Asie centrale, du Moyen-Orient et du pourtour méditerranéen.

Les pavots          

            Regroupant plus de70 espèces présentes en Europe, en Asie et en Afrique, les pavots (Papaver sp., Papaveraceae) sont très diversifiés ; souvent rustiques, ils supportent des températures allant jusqu’à – 20°C ainsi que la sécheresse et le vent. Exploité des millénaires durant sous la forme d’opium pour ses propriétés antidouleur, le pavot somnifère (Papaver somniferum) fréquente volontiers les terres incultes, piétinées et autres espaces rudéraux. Comme la plupart des pavots, il dispense en abondance un pollen d’excellente qualité nutritive aux insectes anthophiles.

7. 8. Le pavot somnifère (Papaver somniferum, Papaveraceae) est une superbe rudérale. Sur ces photos, une andrène (7.) et une petite abeille du genre Lasioglossum (Halictidae) (8.) font de la gymnastique dans des fleurs d’œillette – variété botanique de pavot somnifère cultivée pour l’huile renfermée par ses graines – dont elles s’efforcent de collecter le pollen nourricier.

La grande chélidoine

               La grande chélidoine ou grande éclaire (Chelidonium majus, « grande hirondelle » en latin) est également une plante à fleurs de la famille des Papavéracées. Elle habite deux types de milieux : les environnements anthropisés (notamment les vieux murs et décombres), mais aussi les forêts perturbées et fraîches. Elle fournit un pollen très apprécié des apiformes au printemps.

La carotte sauvage

               Ancêtre de la carotte potagère, cette jolie rudérale aux ombelles dentelées aimante l’été une entomofaune anthophile fort variée : hyménoptères, diptères, coléoptères et lépidoptères. Rustique, elle affectionne les prairies, jachères et friches, les talus, bermes et bords de chemins. 

La tanaisie commune

               Tanacetum vulgare,uneAsteracée rudérale vivace au parfum camphré qui orne de ses grands bouquets jaune vif les bords de champs, de routes, les friches et décombres notamment, est une plante estivale nectarifère et pollinifère très attractive pour maints pollinisateurs, dont des abeilles sauvages, quoique son pollen, comme celui de certaines autres Astéracées et Renonculacées, soit réputé toxique pour les larves de certaines d’entre elles. Que cette ressource s’avère inadaptée à certaines espèces d’abeilles sauvages non spécialisées (Osmia bicornis, par exemple) – mais adaptée à des espèces spécialisées – atteste la nécessité, chez les insectes floricoles, d’adaptations physiologiques aux propriétés chimiques défavorables de certains pollens. « La mortalité [des larves de certaines espèces d’abeilles] sur pollen de Tanacetum vulgare suggère soit l’interférence des composés toxiques de cette plante avec la digestion des nutriments, soit une quantité ou qualité insuffisante de ses nutriments constitutifs (acides aminés ou stérols par ex.), soit la difficulté d’extraire des composés essentiels de ses grains[26]. »

L’onagre bisannuelle

               Œnothora biennis, une Onagracée, est une élégante rudérale que l’on peut rencontrer au bord des chemins, des cultures, sur les remblais, talus des voies ferrées… Une équipe de scientifiques a pu montrer que ses fleurs réagissent rapidement au son produit par une abeille en vol en produisant un nectar plus concentré en sucres… attestant, ce faisant, que les plantes ont une ouïe[29].

Les séneçons

               Jugés souvent invasifs, les séneçons (Senecio sp., Asteraceae) se rencontrent dans les terres cultivées et autres lieux rudéralisés (décombres, friches, jardins, bords des routes…). En raison de leur toxicité pour les herbivores en cas d’ingestion (ils contiennent des alcaloïdes pyrrolizidiniques, substances toxiques qui détruisent les cellules du foie), ces adventices des prairies sont traitées comme des « mauvaises herbes », ce qui est regrettable, car elles sont des bars à nectar et à pollen très attractifs pour les pollinisateurs. Que la concentration en alcaloïdes pyrrolizidiniques de Senecio jacobaea soit nettement plus élevée dans son pollen que dans ses tiges et feuilles indique que certains de ses composés insecticides exercent possiblement une fonction protectrice à l’encontre d’insectes phytophages. « Présents à des concentrations naturelles, nul impact négatif sur les abeilles mellifères adultes n’a été observé ; mais en raison de leurs effets mutagènes, ils constituent possiblement une menace pour les larves d’abeilles, plus vulnérables[30]. »

La pulicaire dysentérique

               Pulicaria dysenterica (Asteraceae) est une vivace indigène ; elle fait partie des taxons floristiques (semi-)rudéraux. On la rencontre en été dans les zones humides, en lisière de chemin forestier, le long des fossés et talus, en bordure de champs cultivés, dans les endroits piétinés humides. Elle dispense pollen et nectar à quantité d’abeilles sauvages et autres insectes anthophiles.

La verge d’or du Canada

               Vivace originaire d’Amérique du Nord où elle colonise les prairies fraîches et les marges forestières, Solidago canadensis (Asteraceae) est naturalisée dans maintes régions françaises, où elle pousse dans les environnements rudéraux, jachères et hautes friches (maintenues, les jachères se transforment en friches). Une grande diversité d’insectes floricoles y puise nectar et pollen.

La grande berce

               Heracleum sphondylium (Apiaceae), une plante bisannuelle à vivace indigène en France, se rencontre aux abords des forêts, sur le bord des routes, chemins ou fossés, les talus, dans les terrains ouverts non cultivés. Cette belle rudérale aux inflorescences blanc crème fournit nectar et pollen aux butineurs affamés. 

La grande bardane

               Superbe plante médicinale et potagère, Arctium lappa (Asteraceae) colonise les milieux anthropisés tels les décombres, bords de chemins, friches, terrains incultes, le voisinage des habitations. Impressionnante par sa stature et la largeur de ses feuilles comestibles, cette rudérale annuelle ou bisannuelle aux flamboyants capitules violets dispense nectar et pollen à l’entomofaune floricole. 

La giroflée des murailles

               Comme son nom même l’indique, Erysimum cheiri (Brassicaceae) fait partie de la flore rudérale des murs et rocailles ; cette plante aux coloris vifs et multiples est très plébiscitée par l’apidofaune au printemps.

La bourrache officinale

               Borrago officinalis (Boraginaceae) est une rudérale des régions à climat tempéré qui croît volontiers dans les lieux cultivés, les jardins, les décombres, le long des voies ferrées, des fossés et talus. Ses jolies fleurs bleues étoilées sécrètent en abondance un nectar qui satisfait aux besoins nutritionnels de multiples espèces d’abeilles à langue courte ou longue. Vidées de leur nectar par des visiteurs nécessitant de se ravitailler en hydrates de carbone, ses fleurs ont la particularité de renouveler rapidement leurs réserves nectarifères, par rapport à d’autres espèces florales. Ses graines riches en huile sont très appréciées des oiseaux.

La renoncule âcre

               Plante rudérale aussi qualifiée d’« adventice des prairies »,Ranunculus acris (Ranunculaceae), le fameux «bouton d’or », indique des prairies équilibrées et riches biologiquement lorsqu’elle ne domine pas. En revanche, sa présence en trop grand nombre signale un surpâturage, un début d’engorgement et d’asphyxie du sol. « Le pollen de Ranunculus recèle des composés toxiques : les substances volatiles de ses anthères contiennent de la protoanémonine, un composé de défense potentielle des fleurs contre l’attaque d’insectes phytophages[32]. » Aussi, certaines larves d’abeilles échouent-elles à se développer sur le pollen de ce genre de plantes, tandis que d’autres ont développé des capacités physiologiques à le digérer.

La chicorée sauvage

               Adventice des cultures et jardins, rudérale colonisant les jachères et les friches, Cichorium intybus (Asteraceae) appartient à la famille des endives. Ses racines séchées, torréfiées puis moulues servent à fabriquer la fameuse chicorée, succédané de café. Cette indigène vivace à la splendide couleur bleue attire des abeilles sauvages pour le pollen et le nectar.

Les pissenlits

               Alors que peu de fleurs d’herbacées sont disponibles en avril-mai, des prairies de fauche, herbages pâturés et terrains gazonnés regorgent à cette saison des fleurs jaune d’or des pissenlits (Taraxacum sp.), adventices originaires d’Eurasie amatrices d’aires rudéralisées. Au constat du succès rencontré par ces fleurs nectarifères et pollinifères auprès des abeilles sauvages et domestiques, mais aussi de nombreux autres insectes floricoles qui les visitent assidument, l’on est tenté de s’en féliciter. En investiguant la littérature scientifique toutefois, on trouve des études susceptibles de nuancer cet enthousiasme. Ainsi, selon certaines recherches, le pollen fourni par les pissenlits ne serait pas de qualité optimale pour les pollinisateurs indigènes de l’Europe telle l’abeille mellifère, car carencé en acides aminés essentiels[33]. Une autre étude constate que cette espèce envahissante commune libère des substances chimiques allélopathiques dans ses tissus végétatifs, dans ses racines et donc le sol (allélopathie : ensemble des interactions biochimiques réalisées par les plantes entre elles ou avec des microorganismes) ; inhibitrices de la croissance des autres végétaux, ces substances induisent une réduction de la diversité florale de nos prairies, pâtures et pelouses. En outre, il a été observé que les fleurs de deux espèces sauvages (Liliacée et Brassicacée) produisent moins de graines bien développées lorsqu’elles sont pollinisées avec des mélanges polliniques contenant du pollen de Taraxacum apporté par les pollinisateurs qu’elles ont en commun avec les pissenlits (les espèces végétales qui partagent des pollinisateurs peuvent souffrir de dépôts de pollen interspécifiques). Aussi, les scientifiques estiment-ils que « le potentiel pollinique allélopathique du pissenlit peut ajouter à sa capacité à perturber les communautés qu’il envahit[34] ». D’autres chercheurs encore, qui explorèrent le « paradoxe des Asteraceae » voulant que cette famille de plantes ne soit « exploitée qu’occasionnellement par les espèces d’abeilles généralistes, mais abondamment butinée par les espèces spécialisées », expliquent avoir, lors d’essais biologiques, « observé que les microcolonies de bourdons généralistes (Bombus terrestris L.) se nourrissant de pollen de Taraxacum (Asteraceae) réduisaient leur collecte dudit pollen et leur production de progéniture » – et ce, après avoir subi des dommages digestifs, effets physiologiques d’éventuelles défenses chimiques (déficit en nutriments ou présence de composés toxiques) développées par ces plantes[35]. Aussi, accroître la diversité floristique des paysages anthropisés au tout début du printemps afin que les pissenlits n’aient pas l’exclusif monopole des fleurissements à cette période de l’année est à n’en pas douter une initiative salutaire.

26. 27. Deux andrènes ♀ recouvertes de pollen de pissenlit dent-de-lion (Taraxacum officinale, Asteraceae) en avril. 
26.

26. 27. Deux andrènes ♀ recouvertes de pollen de pissenlit dent-de-lion (Taraxacum officinale, Asteraceae) en avril. 

               En résumé, la présence d’une flore variée est indispensable à la bonne santé des pollinisateurs, ainsi que l’existence de sites de nidification appropriés. « La régression des populations d’abeilles sauvages, importante dans certaines régions, peut notamment s’expliquer par l’appauvrissement considérable et généralisé de la flore et par la carence en lieux propices à la nidification. C’est le cas dans les régions intensivement cultivées […], où la flore entomophile est réduite à sa plus simple expression, refoulée au bord des chemins et des routes, dans les bois résiduels, les prairies, les friches et les rares milieux semi-naturels. Au sein de tels paysages, les jardins peuvent prendre une grande importance, dans la mesure où ils offrent une flore abondante et variée du début du printemps jusqu’à l’automne[36]. »

               De fait, les photos d’abeilles sauvages illustrant les volets 1 et 2 de cet article ont (à l’exception des 2 photos de dasypodes hirsutes) toutes été prises dans le jardin d’une bourgade calvadosienne située en zone d’agriculture intensive. Aussi, même si vous résidez dans un paysage dégradé, davantage encore si vous habitez un tel lieu, transformez vos jardins en oasis de vie pour la flore et la faune sauvages ! Nos jardins s’avérant susceptibles de constituer, selon les mots du biologiste anglais Dave Goulson, « la dernière arche, celle d’où pourra se reconstruire la vie ». (4 e de couverture de son ouvrage Le Jardin jungle, arche de biodiversité, éditions du Rouergue, 2021.)

                                            Toutes les photos, prises dans le Calvados, sont de l’auteure.

Références

[1] « En France, en 2019, la superficie agricole utilisée (SAU) représente 45 % de la superficie du pays. Ainsi, 26,8 millions d’hectares sont composés de terres arables, surfaces toujours en herbe et cultures permanentes. La part de la SAU dans la surface totale est très variable suivant les régions : supérieure à 68 % en Normandie, dans les Pays de la Loire ou les Hauts-de-France et inférieure à 1 % en Guyane où 90 % du territoire est couvert de forêts. […] La SAU se répartit en 4 catégories : en 2019, les grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux, betteraves, pommes de terre, etc.) couvrent 48 % du territoire agricole, les cultures fourragères (destinées à l’alimentation animale : fourrages [tel le maïs fourrage, à la base de l’alimentation des troupeaux de bovins en production laitière tout au long de l’année] ou prairies) 47 %, les cultures permanentes (vignes, vergers) 4 % et enfin les autres cultures (légumes frais et secs, fleurs ornementales, semences, plants divers, jardins et vergers familiaux des exploitants) 1 % de la SAU. » Insee, « La France et ses territoires. Édition 2021 ». www.insee.fr/fr/statistiques/5039859?sommaire=5040030

[2] « Nous avons vécu pendant des siècles sur cette idée que l’homme était un être à part dans la Création et qu’étant un être à part, il en était le seigneur et maître et qu’il pouvait en disposer librement par rapport aux fins qu’il s’assignait. L’homme a besoin d’apprendre que s’il est respectable, ce n’est peut-être pas d’abord en tant qu’il est humain, mais d’abord en tant qu’il est un être vivant et par conséquent, il doit comprendre tous les autres êtres vivants dans le même respect. Je comprends mal que nous entourions d’une sorte de vénération l’œuvre de Raphaël ou de Rembrandt, que nous placions précieusement leurs tableaux dans des musées – ou plutôt, je le comprends très bien −, mais que nous n’ayons pas la même attitude vis-à-vis d’espèces végétales ou animales qui, chacune dans son genre, représente une synthèse aussi originale et irremplaçable que peut l’être l’œuvre d’un grand peintre, d’un grand écrivain ou d’un grand musicien. Après tout, si telle espèce vivante disparaît de la surface de la Terre, si, disons, demain, il n’y a plus de baleines, eh bien, ce sera me semble-t-il une catastrophe aussi énorme et aussi irréparable que celle qui se produirait si l’œuvre de Rembrandt tout entière se trouvait brusquement abolie. Ce que je souhaiterais, c’est non pas qu’on dédaigne l’un des domaines au profit de l’autre, mais qu’au moins on les place sur le même plan. » Claude Lévi-Strauss (1908-2009), entretien radiodiffusé (archive sonore). Extrait de « Claude Lévi-Strauss, l’homme en perspective », dans « Toute une vie » par Irène Omelianenko, France culture, 2020. www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/claude-levi-strauss-1908-2009-lhomme-en-perspective-0 

[3] Nous empruntons ce terme à Sylvain Tesson qui l’emploie dans son très beau livre Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016).

[4] Nous mettons des guillemets à l’adjectif possessif son, car il n’est propriétaire de ce champ que le temps de sa courte vie ! Et cela lui donne-t-il pour autant tous les droits ? Tel celui d’y ravager pour des lustres la vie des sols ? D’y anéantir ce qui garantit leur fertilité même ? Que le statut de propriété privée de la terre abolisse, dans les faits, son statut premier de bien commun, commun au vivant dans son ensemble (et non seulement aux humains), lequel devrait être protégé par le droit, est clairement criminogène… Cet agriculteur pense-t-il quelquefois à ceux qui lui succéderont, ses enfants peut-être, qui hériteront de « sa » terre ? « Après moi, le déluge… »

[5] En cas d’observation d’une infraction, déposer tout de même une plainte au service « phytosanitaires » de la DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations) de votre département (voir tableau ci-dessous : évaluer la vitesse du vent). L’agriculteur incriminé recevra, peut-être…, la visite d’agents spécialisés qui lui rappelleront la loi et vérifieront que les produits qu’il disperse dans la nature sont bien conformes à la législation en vigueur – ce qui, malheureusement, ne suffit guère à garantir leur innocuité à l’endroit des pollinisateurs et du vivant dans son ensemble, le système actuel d’homologation des pesticides comportant « de nombreuses et graves lacunes : tests de toxicité sur les pollinisateurs obsolètes et inadéquats, effets délétères non testés, conflits d’intérêt patents… […] Selon les producteurs de pesticides eux-mêmes, si les nouvelles lignes directrices étaient mises en œuvre : 79 % des herbicides, 75 % des fongicides et 92 % des insecticides (!) ne passeraient pas le premier niveau des tests et pourraient voir leurs homologations remises en question. En attendant, l’absence d’une évaluation adéquate met en péril les populations d’insectes pollinisateurs, avec à terme de graves conséquences sur la sécurité alimentaire en France et en Europe. » Pollinis, « Le gouvernement français va-t-il réformer le système d’homologation des pesticides ? », février 2019. www.pollinis.org/publications/le-gouvernement-francais-va-t-il-reformer-le-systeme-dhomologation-des-pesticides

Vitesse approximative du ventDescriptionSignes visibles
Moins de 11 km/hCalme et légère briseAu maximum : bruissement des feuilles, sensation de souffle sur le visage
12 à 19 km/hBriseLes feuilles et les pétioles sont constamment en mouvement
Plus de 20 km/hVent modéré et fortPetites branches en mouvement, envol de papier, de poussières
https://normandie.chambres-agriculture.fr/conseils-et-services/produire-thematiques/cultures/phytosanitaires/reglementation-et-traitements

[6] La notion de « messicole » désigne étymologiquement toute plante « habitant les moissons ». Le terme d’« adventice » (du latin aventium, supplémentaire) englobe toutes les plantes poussant dans une culture sans y avoir été semées. La définition plus précise encore de « plantes commensales des moissons » souligne le lien de dépendance entre les messicoles (plantes annuelles) et les cultures, auxquelles elles ne portent pas préjudice, contrairement aux espèces entrant en compétition avec elles et nommées « mauvaises herbes » (notion en voie de disparition toutefois, toute plante jouant un rôle dans les réseaux d’interactions entre végétaux, animaux, fonges et micro-organismes et possédant en outre de précieuses qualités bio-indicatrices de la qualité des sols). Nombre de messicoles sont très attractives pour l’entomofaune pollinisatrice ; les plus connues sont les bleuets (nectarifères et pollinifères) et les coquelicots (pollinifères) ; citons aussi la nielle des blés, le chrysanthème des moissons, la cameline, le chardon béni, le souci des champs, le pavot douteux, l’ail arrondi, le pied d’alouette, la buglosse des champs, le miroir de Vénus, l’adonis d’automne, la guimauve hérissée, la gesse de Nissole… www.tela-botanica.org/thematiques/les-plantes-messicoles

[7] Les plantes rudérales (du latin rudus, ruderis, « décombres ») sont des plantes qui poussent spontanément dans un espace rudéral (anthropisé), « modifié du fait de l’activité ou de la présence humaine (zones résidentielles ou d’activités, aires de stationnement, pelouses rudérales des parcs, jardins et espaces verts, terres des jardins et potagers, décombres, décharges, tas de détritus et composts, friches pionnières nitrophiles, trottoirs, pieds d’arbres, bords des chemins et des routes, replats herbeux des montagnes utilisés comme pâturage, espaces agricoles, voisinage des habitations et des fermes où ces plantes profitent des nitrates apportés par les terres remuées ou les déjections animales). […] Ces plantes colonisatrices affectionnent les espaces ouverts […], perturbés ou instables. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Plante_rud%C3%A9rale

Maintes rudérales sont très attractives pour les pollinisateurs : chardons, tanaisie, pulicaire dysentérique, séneçon, inule visqueuse, mélilot blanc, carotte sauvage, laiteron maraîcher, morelle noire, pavot somnifère, menthes, origan marjolaine, chélidoine, herbe-à-robert, nombreuses Astéracées…

[8] L’exposition des apiformes aux néonicotinoïdes s’effectue au moins par le truchement d’un contact direct avec les poussières pendant les semis ; la consommation du pollen, du nectar, des gouttes de guttation (exsudation de gouttelettes de sève par les plantes – à ne pas confondre avec la rosée), du nectar extra-floral, du miellat issus de plantes cultivées et traitées (par exemple, dépourvues de fleurs, les betteraves sucrières sécrètent toutefois des miellats que butinent les abeilles) ; l’exposition à l’eau contaminée ; la consommation de pollens et de nectars contaminés provenant des fleurs et arbres sauvages qui poussent près des cultures traitées ou des plans d’eau contaminés. Néonicotinoïdes et impacts sur l’environnement :

www.fnh.org/sites/default/files/commun_neonicotinoidesetenvironnement_042016_vdef-1.pdf

[9] Inrae, « Des résidus de pesticides dans les sols et les vers de terre : une réalité omniprésente et insidieuse »,  janvier 2021. www.inrae.fr/actualites/residus-pesticides-sols-terre-realite-omnipresente-insidieuse

[10] « Par exemple, l’agronome Lorenzo Furlan explique comment la création d’une assurance collaborative face aux aléas économiques liés aux mauvaises récoltes permettrait de réduire drastiquement l’usage des pesticides. Couplé à des pratiques agricoles spécifiques, cet outil est une alternative au retour des néonicotinoïdes réclamé par les betteraviers. » La suite ici : www.pollinis.org/publications/lorenzo-furlan-lassurance-recolte-comme-alternative-aux-neonicotinoides

[11] « 76,3% des quantifications de pesticides dans l’air sont le fait de pesticides PE (perturbateurs endocriniens) suspectés et/ou classés CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) 1 ou 2 selon l’UE », Générations futures, juillet 2020. www.generations-futures.fr/actualites/pesticides-air-perturbateurs-endocriniens

[12] « Le fait que les niveaux de PAUs [pesticides actuellement utilisés : insecticides – dont les néonicotinoïdes –, herbicides, fongicides] dans les champs en agriculture conventionnelle n’aient jamais présenté de risque faible ou négligeable, mais un risque élevé pour les vers de terre dans 91 % des sols, remet sérieusement en question la durabilité de l’agriculture chimique traditionnelle. De plus, dans les paysages agricoles, les habitats non traités tels les champs biologiques, les haies ou prairies permanentes sont supposés favoriser la biodiversité, mais nos résultats soulèvent la question de savoir s’ils pourraient agir comme des pièges écologiques et nuire aux animaux qui y vivent en les exposant aux mélanges de pesticides à des concentrations relativement élevées. La contamination de ces habitats ‘‘hors champ’’ par les pesticides pourrait affecter la résilience des agrosystèmes à l’échelle du paysage en empêchant toute possibilité pour ces zones de servir de refuges et de sources de recolonisation. […] La transition agroécologique et les politiques environnementales encouragent la protection et l’extension des habitats semi-naturels dans les paysages agricoles pour promouvoir la biodiversité et les services écosystémiques. Nous recommandons fortement que le potentiel de ces habitats à exposer des organismes non ciblés par les PAUs, le risque associé et l’atténuation de l’actuelle contamination par les PAUs soient pris en compte. En outre, pour atténuer la contamination à la fois des zones hors champ et des sols arables non ciblés, nous conseillons d’envisager la réduction de l’usage des pesticides à l’échelle du paysage, c’est-à-dire en tenant compte des surfaces et de l’emplacement des cultures traitées par rapport aux autres couvertures terrestres dans la mosaïque paysagère. Bernhardt et coll. (2017) ont montré que les augmentations des produits chimiques synthétiques (pesticides, produits pharmaceutiques et autres produits chimiques synthétiques) en termes de quantités totales, de diversité et d’expansion géographique au cours des quatre dernières décennies ont dépassé le taux d’augmentation de la plupart des facteurs bien connus du changement global, comme l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2, la destruction de l’habitat et la perte de biodiversité. Malgré cette situation, beaucoup moins d’attention a été consacrée aux études portant sur les produits chimiques de synthèse qu’aux études sur d’autres agents du changement global, et beaucoup moins de financement a été consacré à ce sujet. Cela représente un manque de connaissances critique en ce qui concerne les progrès scientifiques en écologie mondiale et la réalisation des objectifs du développement durable. » Pelosi C. et al., ‘‘Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat?’’ Agriculture, Ecosystems & Environment, 305, January 2021, 107167. www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167880920303534

[13] « Chaque année, environ 2,5 milliards de tonnes de nourriture sont gaspillées dans le monde, dont environ la moitié [1,2 milliard de tonnes] dans des exploitations agricoles, […] notamment en Europe et aux Etats-Unis. » Beyler N., « 40 % de la nourriture produite chaque année n’est pas consommée, selon le WWF », Les Échos, 2021. www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/40-de-la-nourriture-produite-chaque-annee-nest-pas-consommee-selon-le-wwf-1334043

« Selon des données récentes, la perte et le gaspillage de nourriture ont généré 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), soit près de cinq fois celles du secteur de l’aviation ainsi qu’une importante perte de biodiversité due à l’occupation de l’équivalent de près d’un tiers des terres agricoles de la planète. » « Rapport de l’ONU sur l’indice de gaspillage alimentaire : le monde gaspille plus d’un milliard de repas par jour », mars 2024. www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/rapport-de-lonu-sur-lindice-de-gaspillage-alimentaire-le

[14]Garric A., « Une agriculture 100 % biologique pourrait nourrir la planète en 2050 », Le Monde, 2017. www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/14/une-agriculture-100-biologique-pourrait-nourrir-la-planete-en-2050_5214822_3244.html

• Muller A., Schader C., El-Hage Scialabba N. et al., ‘‘Strategies for feeding the world more sustainably with organic agriculture’’, Nature communications, 8 (1), 2017, p. 1-13. www.nature.com/articles/s41467-017-%2001410-w

• Actuellement, la production agricole mondiale (toujours en augmentation depuis les années 1960) fournit l’équivalent de 3 000 calories par personne et par jour ; or, l’absorption de 2 000 calories par personne et par jour va dans le sens des recommandations de l’OMS. « Aujourd’hui, la production agricole permet donc de nourrir la population mondiale (plus de 8 milliards d’habitants), voire 10 milliards de personnes. Le problème de l’alimentation à l’échelle du globe n’est pas un problème de production, mais de distribution. » À écouter/voir : Porcher E., « La pollinisation en milieu agricole », séminaire au Collège de France, mars 2024. www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/interactions-plantes-pollinisateurs-hier-aujourd-hui-et-demain/la-pollinisation-en-milieu-agricole

[15] Trame verte et bleue, centre de ressources. www.trameverteetbleue.fr

[16] « Vincent Q., « Trame brune. Pourquoi ? Comment ? Quelles limites ? », 2023. www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/3_jet_nouvellestrames_2023_vincent.pdf

[17] Grab H., Branstetter M. G., Amon N. et al., ‘‘Agriculturally dominated landscapes reduce bee phylogenetic diversity and pollination services’’, Science, 363(6424), 2019, p. 282-284. www.science.org/doi/full/10.1126/science.aat6016

« Depuis des millions d’années les pollinisateurs n’ont cessé de se diversifier. Le nombre d’espèces est devenu de plus en plus important. L’équipe d’Heather Grab a examiné comment l’activité agricole avait joué sur la perte de diversité dans les communautés de pollinisateurs dans 27 vergers de pommiers dans l’État de New York. ‘‘En milieu rural les abeilles et les autres pollinisateurs sont doublement pénalisés’’, explique Isabelle Dajoz, professeur d’écologie à l’université Paris-Diderot. ‘‘Les pesticides fragilisent leur organisme et sont néfastes à la diversité de la flore. Certaines espèces ne peuvent pas survivre car elles n’ont plus de nourriture.’’ Dans certains vergers, le nombre d’espèces a été réduit de moitié. Les chercheurs estiment que la diversité des insectes perd 35 millions d’années d’histoire de l’évolution pour chaque augmentation de 10 % de la couverture agricole dans le paysage. C’est au total un bond de 230 millions d’années en arrière. Les espèces d’abeilles qui visitent les vergers entourés de terres agricoles sont toutes apparentées. Au lieu de continuer de se diversifier, la morphologie des espèces se rapproche. Les conséquences ne sont pas seulement graves pour les populations d’abeilles, mais aussi pour les cultures elles-mêmes. » Bordenave V., « L’agriculture fait reculer de 230 millions d’années l’évolution des abeilles », Le Figaro sciences, 2019.

[18] Houard X., Silvain J.-F., « Agriculture et biodiversité, une alliance indispensable », Insectes, n° 212, mars 2024, p. 10. www.calameo.com/read/007627946e69f38694250

[19] Département de l’Eure en Normandie, Guide de reconnaissance des messicoles : https://eureennormandie.fr/wp-content/uploads/2021/05/GuideMessicoles2020.pdf

[20] Conservatoire botanique national Pyrénées et Midi-Pyrénées, « Plantes messicoles à vocation paysagère et fonctionnelle. Aide à la reconnaissance », 2022. https://doctech.cbnpmp.fr/messiflore/reconnaissance_messicole_occitanie-2022.pdf

[21] La Cabane de Tellus, le refuge des « mauvaises herbes ». Les plantes rudérales : http://cabanedetellus.free.fr/Plantes_rud%C3%A9rales02_Tellus.html

[22] http://cabanedetellus.free.fr/Plantes_rud%C3%A9rales02_Tellus.html

[23] « Nous voulons des coquelicots. Appel à la résistance pour l’interdiction de tous les pesticides ». https://nousvoulonsdescoquelicots.org

[24] Agir pour les plantes messicoles. Le plan national d’action. www.plantesmessicoles.fr

[25] Les petites (4-7 mm) abeilles hylaéines « sont d’excellentes colonisatrices des milieux en raison de leur polylectisme [elles récoltent du pollen pour nourrir leur descendance sur une vaste gamme d’angiospermes] et de la facilité avec laquelle leurs nids dans des tiges creuses et légères peuvent être transportés par le vent, l’eau ou l’homme ». Vereecken N., Jacobi N., op. cit., p. 60. Nids toutefois détruits par les broyages des ronciers et des haies (qui abritent maintes plantes lianescentes attractives pour les petites abeilles caulicoles : clématite vigne blanche, bryones, etc.) !

[26] Sedivy C., Müller A. & Dorn S., ‘‘Closely related pollen generalist bees differ in their ability to develop on the same pollen diet: evidence for physiological adaptations to digest pollen’’, Functional Ecology, 25(3), 2011, p. 718-725. https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1365-2435.2010.01828.x

[27] « Afin d’avoir des réserves alimentaires suffisantes, plusieurs cleptoparasites ont développé des comportements de destruction des œufs ou des larves de l’espèce-hôte. La source primordiale de nourriture des cleptoparasites provient néanmoins des réserves accumulées par l’hôte pour sa descendance et non pas du corps des larves de l’hôte. » Lucas É., op. cit.

[28] Vereecken N., Jacobi N., op. cit., p. 56.

[29] Donahue M., « Les fleurs peuvent entendre les abeilles, leur nectar n’en est que plus sucré », National Geographic, 2019. www.nationalgeographic.fr/environnement/les-fleurs-peuvent-entendre-les-abeilles-leur-nectar-nen-est-que-plus-sucre?fbclid=IwAR1oe_PpND4mDpC0goXoA90IASZOrLjl0xsulZPF6bJoysHaD1P_w9hKUcE

[30] Sédivy et al., op. cit.

[31] Les sphécodes cleptoparasites de nids d’Andrenidés, d’Halictidés ou de Colletidés ouvrent les cellules larvaires des abeilles-hôtes, détruisent leurs œufs, les remplacent par les leurs avant de refermer lesdites cellules. « La femelle cleptoparasite pénètre généralement dans le nid par la force tuant parfois la femelle-hôte. La destruction de la larve par la femelle cleptoparasite est un comportement qui évite à la larve de chercher celle de l’hôte. » Lucas É., op. cit., p. 11.

[32] Sédivy et al., op. cit.

[33] Herbert E. W., Bickley W. E. & Shimanuki H., ‘‘The brood-rearing capability of caged honey bees fed dandelion and mixed pollen diets’’, Journal of Economic Entomology, 63 (1), 1970, p. 215-218. https://academic.oup.com/jee/article-abstract/63/1/215/798721?redirectedFrom=fulltext&login=false

[34] Loughnan D., Thomson, J. D. Ogilvie, J. E. & Gilbert B., ‘‘Taraxacum officinale pollen depresses seed set of montane wildflowers through pollen allelopathy’’, Journal of Pollination Ecology, 13, 2014, p. 146-150. https://gilbert.eeb.utoronto.ca/gilbert/files/2015/12/Loughnan-et-al.-2014-pollen-allelopathy.pdf?fbclid=IwAR2t1I_5Us_r0l-mGPFXOBGfEN5hg_qaNHXLzRiGE3sSdl1Key1DViWsF1E

[35] Vanderplanck M., Gilles H., Nonclercq D., Duez P., & Gerbaux P, ‘‘Asteraceae paradox: Chemical and mechanical protection of Taraxacum pollen’’, Insects, 11 (5), 2020, p. 304. www.mdpi.com/2075-4450/11/5/304

[36] Jacob-Remacle A., Abeilles sauvages et pollinisation, Ministère de la Région wallonne, Service de la conservation de la Nature, 1990, p. 15. http://biodiversite.wallonie.be/servlet/Repository/?IDR=6253

[37] Pratiques telles la pulvérisation d’herbicides qui détruisent les adventices dont se nourrissent les pollinisateurs de cultures entomophiles (colza, tournesol, sarrasin, trèfles, pois fourragers, lupin, etc.) et épandages d’insecticides qui anéantissent les polinisateurs visiteurs d’adventices dans les champs de céréales.

[38] À écouter/voir : Fontaine C., « Les réseaux d’interactions entre plantes et pollinisateurs pour comprendre le fonctionnement de ces communautés et leurs réponses aux perturbations », séminaire au Collège de France, février 2024. www.college-de-france.fr/fr/agenda/seminaire/interactions-plantes-pollinisateurs-hier-aujourd-hui-et-demain/les-reseaux-interactions-entre-plantes-et-pollinisateurs-pour-comprendre-le-fonctionnement-de-ces

14 Comments

  1. On peut craindre que la question de l’excès de l’utilisation pesticide ne se règlera pas tant que l’on conservera des objectifs de rendements si élevés. Les gouvernements du monde savent pourtant depuis des siècles que le prix des denrées alimentaires doit être contrôlé pour éviter famines et spéculations. Le marché mondial préfère aujourd’hui des prix bas donc en conséquence l’agriculture doit produire le plus possible, quitte à polluer et gaspiller, et c’est une folie suicidaire, qui mène la vie dure à toutes les initiatives d’approvisionnement en circuits courts.

  2. Il est juste de pointer l’exemple des vers de terre du Poitou [12], symboles de pauvres bêtes qui n’ont rien demandé aux cultures et qui traînent ces pesticides jusque dans les haies. Une autre étude dans le même secteur pointait l’omniprésence de néonicotinoides dans les fleurs de colza pourtant non traitées avec ces substances (Wintermantel, 2019). Deux faits qui anéantissent totalement les arguments des betteraviers pour pouvoir traiter sur une culture non mellifère (c’est tombé sur eux mais ça aurait pu être n’importe qui d’autre), deux preuves que la question ne doit plus se raisonner au niveau de la parcelle mais du paysage. Il faut arriver à faire comprendre que traiter c’est répandre des substances dans la nature (et pour l’imidaclopride -7297 fois plus toxique que le DDT- c’est 5% seulement de la dose qui sera absorbée par la plante, le reste est abandonné dans le champ). Merci d’avoir reporté ce point parfaitement expliqué par l’auteur dans la note [12].

  3. Merci Isabelle pour cette éloge du bon sens concernant nos paysages. Bien sûr les « jolies » fleurs ici illustrées sont pour nous un régal des yeux autant que pour l’estomac de nos bestioles, et bravo pour ces photos dont je sais la patience dont il a fallu faire preuve pour y capter ces visiteuses. Mais n’oublions pas les myriades de fleurs qu’on ne désigne pas, parce qu’elles sont petites, vertes ou considérées comme moches à notre goût, et qui sont parfois des ressources majeures dans les champs. Plantain, mercuriale, amarante, chénopode, renouée, réséda…et même des graminées ou du rumex…Les mal-aimées de nos champs mais aussi « mauvaises-herbes » de nos jardins sont tout à fait essentielles dans la continuité alimentaire des abeilles sauvages. Et puis, faisons confiance aux abeilles car si parfois le pollen pourrait leur poser des soucis d’indigestion, certaines comme le pissenlit par exemple, sont d’abord butinées pour le nectar.

    • Merci de vos bons mots et de vos éclairages Jean-François, qui enrichissent le débat et soulèvent des questions vraiment intéressantes que je ne m’étais jamais posées. Par exemple, ce que vous dites de ces fleurs moches, insignifiantes (peu visibles), cryptiques (dissimulées dans leur environnement comme celles qui sont vertes) m’interpelle : pourquoi sont-elles de la sorte ? Pourquoi n’arborent-elles pas des couleurs voyantes et des motifs qui, visibles dans l’ultraviolet, s’avèrent (conjugués à d’autres facteurs, olfactifs par ex.) irrésistibles pour les abeilles ? Il me semblait avoir lu que les fleurs, qui sont des sexes comme chacun sait, qui nécessitent – pour celles qui sont entomogames – une pollinisation croisée effectuée par des insectes, se doivent d’être voyantes (stratégie de séduction bien connue des animaux humains et non humains également). Alors que celles dont la pollinisation est réalisée par l’action du vent (ou d’un autre facteur physique comme l’eau) n’ont pas besoin d’effectuer ces dépenses d’énergie visant à les rendre désirables par la gent pollinisatrice… Mais est-ce toujours le cas ? Par exemple, les fleurs de châtaignier, très voyantes (odorantes aussi) et très butinées sont anémophiles (pollinisées par le vent)… Que les abeilles mellifères visitent les adventices méprisées que vous énumérez semble avéré, mais le font-elles aussi lorsqu’elles disposent de suffisamment de ressources nectarifères et pollinifères autres que celles-ci, à priori plus gratifiantes, car davantage destinées par la sélection naturelle et la coévolution à les attirer ? Qu’elles butinent ces plantes à priori moins perceptibles par elles n’est-il pas le signe qu’elles n’ont pas grand-chose d’autre à se mettre dans la trompe, un choix par défaut ? Et qu’en est-il de leurs cousines sauvages comme les bourdons ? Voilà un pan inconnu de moi bien intéressant que vous soulevez là, soyez-en remercié !

  4. Merci de toutes ces photos magnifiques qui démontreront la complexité du monde des pollinisateurs. Beaucoup d’apiculteurs, dont je suis, vont découvrir.

    • Merci de votre commentaire Stien. « Complexité » est bien le maître-mot lorsqu’on se penche sur l’étude des innombrables interactions, toujours en mouvement (impermanentes, mouvantes, variables, labiles, changeantes….) qui trament la tapisserie mobile du vivant, kaléidoscope étourdissant. Vous êtes apiculteur, donc, peut-être aurez-vous plus d’aisance ou de facilité à observer les pollinisateurs sauvages qui butinent les fleurs dans l’environnement de votre rucher, puisque le privilège de l’apiculteur est d’être beaucoup dehors, souvent dans des espaces plus naturés qu’ailleurs. Mais n’oubliez pas qu’une trop grande charge de ruches sur un même site nuit à la biodiversité des insectes floricoles !
      Sur la coexistence entre l’abeille domestique et les abeilles sauvages :
      https://oabeilles.net/bibliographie/interactions-abeilles-sauvages-et-abeille-domestique

  5. La source juridique de la réglementation concernant l’agriculture et qui nous met dans l’incapacité de décider des changements nécessaires, au niveau ´national, se trouve dans les traités européens et notamment, dans la partie concernant la PAC. (mais pas seulement…) Mais étant donné qu’il est impossible de mettre d’accord 27 états sur quelque sujet que se soit pour changer la moindre virgule dans les traités et que l’unanimité est requise pour le faire, je ne vois pas comment tous cela pourrait évoluer dans le bon sens sans sortir de l’Union Européenne, comme l’ont fait les Britanniques…

    « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

    ..

    • Merci de votre réflexion Marc, bien intéressante.
      Je ne suis malheureusement pas assez calée sur le très vaste sujet de l’intérêt que présente pour la France le fait de rester ou non dans l’Union européenne.
      Je pense toutefois que lorsque ça l’arrange de ne pas faire d’efforts pour contrer une problématique (en l’occurrence d’ordre environnemental), le gouvernement français sait avec beaucoup d’hypocrisie justifier son non-agir par l’invocation de la conformité au droit, aux lois ou aux règlementations européennes.
      En revanche, lorsqu’il a décidé de favoriser un groupe de pression qui compte beaucoup d’adeptes dans ses rangs (comme la chasse) ou lorsque la lutte contre la pollution atmosphérique requiert des mesures fermes n’allant pas dans le sens des intérêts des groupes de pression industriels (agriculture intensive et agro-alimentaire, pétrochimie, transports routier, aérien, fluvial, etc.), alors là, le gouvernement français semble bien se moquer du droit, des lois et règlementations européennes ! Je cite ces 2 exemples, mais l’on devrait pouvoir en trouver d’autres.
      – « La France s’est souvent retrouvée devant la Cour de Justice des Communautés Européennes pour non-respect des règlements communautaires dans le domaine de la chasse. » https://www.robert-schuman.eu/entretiens-d-europe/158-au-centre-d-une-bataille-juridique-la-chasse-en-france-et-etat-des-lieux-en-europe
      – « Par un arrêt du 24 octobre 2019 (CJUE, 24 oct. 2019, Commission européenne c/ République française, C-636-18) la Cour de justice européenne a condamné la France « pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air » ». https://green-law-avocat.fr/pollution-de-lair-condamnation-de-la-france-pour-manquement
      En résumé, je ne suis pas convaincue du fait que la France ne légifère pas pour la protection des pollinisateurs par respect pour la règlementation européenne en matière d’agriculture… mais parce que les lobbies agricoles productivistes (FNSEA et Coordination rurale) liés à l’agrochimique et à l’agroalimentaire font la loi et déterminent les orientations prises en la matière par le gouvernement.

  6. Il est crucial de préserver notre flore pour protéger les abeilles sauvages. Les jardins offrent un habitat important pour ces pollinisateurs. 🌼🐝

    • Merci Corine de votre observation – que l’on sent inspirée par la pratique ? Je vous répondrai par une citation de Dave Goulson tirée de son ouvrage « Le Jardin jungle, arche de biodiversité », paru aux éditions du Rouergue en 2021, p. 8-9 : « Même aujourd’hui, au XXIe siècle, alors que notre connaissance de l’univers s’est considérablement étendue, les grandes questions qui se posent à nous semblent, elles, ingérables, insolubles, au-delà de nos capacités individuelles. Tout ce que je pourrais faire pour lutter contre le réchauffement climatique, la déforestation des forêts tropicales ou empêcher la chasse aux rhinocéros – leurs cornes ayant de prétendues vertus médicinales -, tout cela paraît insignifiant et inefficace. Aux yeux d’un écologiste, il n’est que trop facile de se sentir démuni et abattu. Quant à moi, ce qui m’a le plus souvent poussé à m’engager dans la bataille a toujours été inspiré par ces victoires à petite échelle remportées dans mon propre jardin, puisque c’est un petit coin de la planète que je peux contrôler, d’une dimension suffisamment modeste pour que mon esprit puisse le comprendre. Bref, là où je peux faire les choses correctement. Au terme d’une journée parfois fastidieuse dans mon bureau à l’université, souvent passée à repousser les incessants assauts des e-mails comme apparemment la plupart d’entre nous, plutôt que de s’occuper de choses utiles, je trouve une grande source d’inspiration et beaucoup de plaisir à me rendre dans mon jardin, à mettre les mains dans la terre. Je plante des graines, veille à leur bon développement en les arrosant, en paillant les semis, en désherbant, moissonnant, faisant du compost et en réglant mes travaux sur le cycle des saisons. Telle est l’échelle qui me convient le mieux, car je peux voir et sentir les résultats de mes actions. Pour moi, sauver la planète commence par m’occuper de mon propre lopin de terre. » Et plus loin, p. 16 : « Les plantes que nous choisissons de faire pousser ont des répercussions considérables sur les insectes qui viendront s’en alimenter ou vivre à proximité, déterminant par la suite la nourriture disponible pour les oiseaux, les chauves-souris, les musaraignes et les insectes prédateurs tels que les libellules. Tout commence par les plantes. »
      Outre la liste de plantes que Dave Goulson propose, dans cet ouvrage, aux jardiniers et jardinières de semer/planter, on peut consulter :
      https://agriculture.gouv.fr/decouvrez-la-liste-des-plantes-attractives-pour-les-abeilles
      https://www.pollinis.org/publications/pollinis-lance-une-serie-de-11-guides-pour-aider-les-particuliers-a-planter-des-haies-pour-les-pollinisateurs

  7. Très intéressant ! En zones rurales où l’agriculture conventionnelle est très présente, nous nous rendons compte de la raréfaction des plantes florales, et de ce fait beaucoup moins d’espèces d’invertébrés qui s’en suivent par une diminution des oiseaux des champs… effet domino.

    • Merci de votre retour Romain et de vos lignes. Il est en effet essentiel de regarder autour de soi, d’examiner de quelle manière le paysage évolue et l’impact de ces évolutions sur la flore et la faune qui partagent nos milieux de vie, car c’est la prime étape de la conscientisation du désastre (« perte de l’astre ») écologique en cours, mais aussi ce qui donne envie de s’engager à son très modeste petit niveau. Mais si nous sommes des dizaines de millions à oeuvrer dans notre quotidien pour la biodiversité qualifiée d’ « ordinaire » en lui aménageant des espaces de vie – fussent-ce quelques pots de fleurs d’aromatiques par exemple sur son balcon ou son bord de fenêtre en ville -, voilà qui peut permettre à ce biodivers de résister ici ou là, vaille que vaille, dans quelques oasis de vie… Je vous renvoie à la citation du biologiste anglais Dave Goulson, que vous lirez plus haut…

  8. Votre article est passionnant et les photos associées sont vraiment étonnantes. Merci d’avoir pris le temps d’indiquer les différentes espèces photographiées !

    • Merci à vous de votre intérêt pour les abeilles sauvages et de votre gentil message. Il est toujours réconfortant d’avoir un écho, fût-ce en 2 phrases, des personnes qui vous lisent et qui semblent tirer profit de vos recherches et de vos engagements militants par l’écriture.

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