Pollution lumineuse : causes, conséquences et solutions

Quelle folie nous prend de vouloir éclairer la nuit à ce point ? En France, on estime que 85 % du territoire métropolitain sont pollués (source : ONB). À l’échelle mondiale, un tiers de l’humanité ne verrait plus la Voie lactée, notre galaxie (Falchi et al., 2016). Et cette pollution massive continue de croître puisqu’une étude l’estime en effet à environ 2 % par an à l’échelle mondiale (Kyba et al., 2017).

La nuit et les plantes

Les végétaux chlorophylliens utilisent la lumière du soleil le jour pour produire leur matière organique par le biais de la photosynthèse. L’obscurité de la nuit leur est alors essentielle pour se reposer, « digérer » et se régénérer, au même titre que des animaux diurnes. Or, à quelques exceptions près, les plantes sont immobiles, et « subissent » donc de plein fouet l’éclairage nocturne artificiel, par exemple un lampadaire surplombant le houppier d’un arbre d’alignement en ville. En perturbant ces différentes phases, les éclairages nocturnes contribuent à :

  • Maintenir le végétal dans une phase d’activité inadaptée,
  • Gêner la phase de repos et de croissance cellulaire,
  • Perturber l’ouverture ou la fermeture de la corolle,
  • Retarder la chute des feuilles,
  • Avancer l’ouverture des bourgeons,
  • Et (un comble) ils favoriseraient la germination d’adventices après les labours…

En somme, les plantes ont donc également besoin de l’alternance entre la lumière et l’obscurité. Même les espèces parasites, comme la cuscute ou les orobanches, qui ne font plus de photosynthèse et n’ont donc pas directement besoin de lumière, vivent associées à d’autres végétaux qui, eux, en dépendent.

Coût énergétique

  • En 2017, l’éclairage public représentait 41 % du budget électricité des communes soit 800 millions d’euros.
  • L’éclairage public, plus les charges de maintenance et les investissements représentent près de 2 milliards d’euros. Ce qui en fait le 2e poste de dépense énergétique des communes, après les bâtiments.

Politique de transition énergétique

L’éclairage public est « considéré comme une source potentielle d’économie d’énergie importante ». Mais c’est aussi le principe de prévention et de réduction des nuisances lumineuses, institué par la loi Grenelle I.

Sources : « La nécessaire optimisation de la gestion des éclairages publics », Rapport public annuel de la Cour des Comptes (2021)

La vie des animaux : de jour ou de nuit ?

La phototaxie est le mouvement d’un organisme déclenché par la lumière vers la source lumineuse ou dans la direction opposée. Pour faire simple, certains organismes sont spontanément attirés par la lumière (phototactisme positif) et d’autres sont repoussés par la lumière (phototactisme négatif), pour ces dernières on parle alors d’espèces « lucifuges ». L’attraction augmente le risque de piège (par exemple des papillons dans des lampadaires), de collisions routières ou avec les infrastructures, de déviation de l’axe de migration, d’effets paniques… La répulsion quant à elle gêne les activités biologiques des animaux (nourrissage, chasse, reproduction, etc.), réduit leurs habitats et peut aussi brouiller leur communication, comme pour les lucioles et vers luisants qui pratiquent la bioluminescence (voir page 49).

Par ailleurs, certains animaux voient très bien la nuit, même par très faible luminosité. Certaines espèces sont tellement sensibles à la lumière qu’elles ne peuvent pas sortir pendant plusieurs nuits, avant, pendant et après la pleine lune. Or, chaque lampadaire émet bien plus de lumière que celle qu’on perçoit de la lune ! En effet, la lumière rend les animaux plus vulnérables face à leurs prédateurs, car ils sont évidemment plus faciles à détecter, donc si la pleine lune a déjà cet effet, imaginez l’impact d’un lampadaire 10 à 100 fois plus puissant !

D’autres animaux se servent quant à eux de la lune, des étoiles, de la voie lactée pour se repérer et se déplacer, qui perdent alors leurs repères sous l’effet de la pollution lumineuse qui masque le ciel étoilé :

  • De nombreux oiseaux ou phoques migrent et se déplacent de nuit, utilisant la lune et les constellations comme repères
  • Certains bousiers utilisent la Voie lactée pour se déplacer
  • L’anguille serait capable d’utiliser la lune pour se déplacer
  • Les œufs de tortues marines éclosent sur les plages. Les petits savent naturellement à la naissance s’orienter vers la mer grâce à la réflexion de la lune et des étoiles sur l’eau. Mais si la côte est éclairée, elles migrent alors vers la ville…

Quelques chiffres en France

Éclairage public
  • 9,5 millions de points lumineux pour une consommation annuelle d’environ 5,6 TWh (soit 1 % de la production totale d’électricité)
  • Mais plus de 40 % ont plus de 25 ans… donc niveau qualité et fonctionnement ça laisse pas mal à désirer.
  • Toutefois 38 % des communes procèdent à des extinctions nocturnes. Et évidemment ce sont principalement les petites et moyennes communes, situées en milieu rural ou périurbain. Plus d’1/3 des communes donc, mais que font les autres ?
  • 25 % de la surconsommation électrique nécessaire aux illuminations de Noël proviennent des éclairages publics (ce qui équivaut à la consommation annuelle de 150 000 réfrigérateurs récents !)
Éclairage dans le tertiaire
  • Plus de 70 % de la consommation d’éclairage intérieur des bâtiments se font de jour !
  • 80 % des installations sont obsolètes, datant souvent de plus de 20 ans…
  • Un potentiel d’économies d’énergie de 70 %, si on modifie nos usages (lumière naturelle, détecteurs…)
Éclairage des particuliers
  • En moyenne l’éclairage représente 12,8 % de la consommation électrique des ménages (hors chauffage et eau chaude).
  • 75 % de la surconsommation électrique nécessaire aux illuminations de Noël proviennent des éclairages chez les particuliers = 1 300 MW (soit la consommation annuelle de 600 000 réfrigérateurs récents !).

Sources : ADEME et Association Française de l’Eclairage (2019)

Pollution lumineuse et insectes

Quant aux insectes, la pollution lumineuse est une des causes importantes de l’effondrement de leurs populations. Comme certains animaux, les insectes utilisent la lune comme point de repère pour naviguer la nuit. Alors les lampadaires, c’est l’extase lumineuse… Tout le monde a cette image des insectes tournoyant sans fin autour d’un lampadaire, jusqu’à épuisement. Et la nuit, il y en a des bestioles… Par exemple, en France métropolitaine, on compte 270 papillons de jour pour plus de 5 400 papillons de nuit.

La grande majorité des animaux est active la nuit : 28 % des vertébrés et 64 % des invertébrés sont nocturnes. Car en France métropolitaine, on dénombre moins de 1 000 espèces de vertébrés, contre près de 50 000 invertébrés : insectes, crustacés, mille-pattes, arachnides, mollusques, vers…

Enfin, lorsqu’on est actif la nuit, on se repose le jour… et inversement. Ainsi, la nuit noire est vitale aux animaux diurnes.

Une conclusion s’impose donc avec évidence : la dégradation de l’alternance jour/nuit affecte énormément d’organismes, des plantes comme des animaux, quel que soit leur rythme d’activité. On pourra alors aisément comprendre à quel point la lumière émise par les éclairages nocturnes est problématique pour le vivant, nous compris !

Effets de l’éclairage nocturne sur la santé humaine

Qu’en est-il de la santé humaine ? L’un des effets majeurs d’une exposition à la lumière artificielle la nuit est de perturber la sécrétion de mélatonine et donc le repos nocturne. La mélatonine que l’on appelle aussi « hormone du sommeil » est synthétisée en l’absence de lumière par la glande pinéale située dans le cerveau et reliée aux yeux. Il s’agit d’une hormone centrale de régulation des rythmes chronobiologiques. La mélatonine joue par ailleurs des rôles d’antioxydant, dans la protection de l’ADN, ou dans le système immunitaire… Pour le moment, les études menées portent sur les éclairages intérieurs, tablettes, smartphones ou écrans, mais soulèvent ainsi des inquiétudes sur l’effet potentiel des éclairages extérieurs sur notre sommeil, par exemple en cas de lumière intrusive dans les logements. Chacun a malheureusement déjà fait l’expérience d’un lampadaire mal orienté, allumé toute la nuit, qui éclaire la chambre à coucher et empêche de dormir, ou obligeant à dormir fenêtres et volets fermés en plein été.

Lumière et sécurité

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, éclairage et sécurité ne font pas forcément bon ménage ! Il semble même parfois que la sécurité et le sentiment d’insécurité soient inversement proportionnels. En somme, il n’y a pas moins de cambriolages quand les rues sont éclairées (notez que 60 % ont déjà lieu en journée) ; et il n’y pas moins d’accidents quand les routes sont éclairées…

Certes, pour des personnes qui rentrent seules tard la nuit, cela peut sembler rassurant, mais est-ce vraiment utile d’éclairer toute la nuit pour quelques (hypothétiques) passages ? Il existe en effet nombre de systèmes (déclencheur, tamiseur…) pour atténuer et significativement diminuer la consommation, pour ne pas dire le gaspillage ou même la gabegie.

Trame noire, la solution ?

La trame noire est un réseau écologique formé de réservoirs et de corridors écologiques caractérisés par une certaine obscurité, autrement dit un maillage d’espaces naturels propice à l’activité des espèces nocturnes et au repos des espèces diurnes. Chacun peut et doit désormais agir pour contribuer à ce réseau. Pour ce faire on peut :

  • Restreindre le nombre de points lumineux en définissant bien leur usage. Les éclairages non fonctionnels (mise en valeur d’un bâti, guirlandes, etc.) devraient être limités autant que possible
  • Réduire les périodes d’allumages (couper en cœur de nuit, installer des détecteurs, etc.)
  • Orienter convenablement les éclairages vers la cible à éclairer (par exemple un trottoir ou un passage piéton).
  • Éclairer à des niveaux lumineux permettant un confort visuel sans plus. Bien qu’étant un animal diurne, l’homme est aussi doté d’une vision scotopique grâce à ses batônnets, du moment qu’on laisse le temps à l’œil de s’habituer à la pénombre. Faites l’expérience : marcher en pleine nuit sans éclairage sur un sentier clair à la lueur d’une pleine lune ne pose pas de difficulté pour une grande majorité de la population !
  • Choisir des lumières de couleurs chaudes (plutôt orangées).

Ces recommandations concrètes sont valables aussi bien pour des éclairages publics que pour des éclairages privés, y compris nous en tant que particuliers dans nos jardins et abords de propriétés. Il est ici question de rendre la nuit aux étoiles, aux chouettes, chauve-souris et autres vers luisants et au bien-être de tous !

Et pour aller voir comment ça se passe chez vous, vous trouverez une carte interactive de la pollution lumineuse réalisée par Earth Observation Group, NOAA National Geophysical Data Center.

Que dit la règlementation ?

La France est l’un des seuls pays à s’être doté d’une règlementation ambitieuse sur l’éclairage nocturne, qui peut concerner les éclairages publics comme privés, y compris de particuliers. Différentes catégories d’éclairages ont été identifiés (sécurité, mise en valeur, commerces, chantier, etc.).

Par exemple, depuis 2013 les vitrines, bureaux et bâtiments non résidentiels doivent être éteints entre 1 h et 7 h du matin. Les publicités et enseignes lumineuses doivent aussi être éteintes entre 1 h et 6 h du matin depuis 2012.

Certaines installations sont aussi contraintes en termes d’orientation, de couleur ou de puissance. Renseignez-vous sur :

www.ecologie.gouv.fr/pollution-lumineuse
www.cerema.fr/fr/actualites/decryptage-arrete-ministeriel-nuisances-lumineuses-contexte

Sources

Merci à Romain Sordello (PatriNat OFB-CNRS-MNHN) pour son aide dans la rédaction de cet article.

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