Observations sur la planche d’envol : un guide qui incarne le changement de regard sur l’abeille mellifère

Nous avons imaginé un guide qui puisse répondre aux questions et aux besoins de personnes souhaitant simplement héberger des abeilles en ruches de biodiversité, sans forcément tirer parti des « produits de la ruche ». Privilégier l’observation et choisir plutôt le point de vue naturaliste que celui d’apiculteur, c’est l’opportunité de développer une attitude de considération, d’attention et de curiosité face à une autre manière d’être vivant incarnée par les abeilles mellifères. Une attitude dont les enjeux et les bénéfices dépassent de très loin l’apiculture.

Pourquoi regarder les abeilles comme des naturalistes ?

Depuis seulement 40 ans, les abeilles mellifères connaissent des surmortalités spectaculaires. Si ce phénomène est d’abord lié à la crise écologique systémique (pollution chimique, espèces exogènes invasives, dérèglement climatique, etc.), les conséquences de la « domestication » des abeilles et des logiques productivistes auxquelles nous les soumettons appellent à être examinées. Les dégâts causés par Varroa destructor, un acarien parasite importé depuis l’Asie par l’apiculture de production, est un exemple significatif. Peut-être est-il temps de questionner nos pratiques apicoles pour que s’opère un changement de regard salvateur sur ces pollinisatrices vénérables. Et si le fait de nous rapprocher autant que possible de leurs conditions naturelles d’existence, en réduisant voire en supprimant nos interventions et en laissant libre cours à leur propre organisation, était une piste d’espoir ?

Les observations clés

La planche d’envol, ou le trou de vol, sont l’interface entre l’intérieur de leur nid et l’environnement extérieur dans lequel les abeilles puisent l’ensemble de leurs ressources. En fonction de la période de l’année, du niveau de développement de la colonie, mais aussi parfois en fonction de l’heure de la journée, le comportement des abeilles change et elles ont de nombreuses attitudes diversifiées. Elles passent par exemple beaucoup de temps à faire entrer ou à évacuer des éléments, elles se regroupent, s’agitent, montrent des signes de pathologies, de faiblesse ou au contraire de vitalité… C’est ce type d’indications que nous vous proposons de décrypter pour imaginer ce qui se passe au sein de la colonie et pouvoir vous prononcer sur son état de santé ou anticiper son comportement, sans risquer de les perturber ou d’aggraver la situation par le geste réflexe de l’ouverture du nid.

Nous avons imaginé un guide qui puisse répondre aux questions et aux besoins de personnes souhaitant simplement héberger des abeilles en ruches de biodiversité, sans forcément tirer parti des « produits de la ruche ». Privilégier l’observation et choisir plutôt le point de vue naturaliste que celui d’apiculteur, c’est l’opportunité de développer une attitude de considération, d’attention et de curiosité face à une autre manière d’être vivant incarnée par les abeilles mellifères

Les comportements les plus courants et les plus caractéristiques de la colonie ont été rassemblés dans les observations clés qui constituent le cœur de ce guide. Nous avons choisi de situer les principales observations au fil d’une année entière, et d’insérer les observations dans le contexte des quatre saisons. Observations et hypothèses offriront aux lecteurs un ensemble de pistes pour mieux comprendre la vie des abeilles qui est à la base de toute pratique apicole.

Nous n’avons toutefois pas la prétention de traiter exhaustivement tous les comportements possibles ou de proposer un mode d’emploi infaillible. Il faudra parfois corriger les hypothèses en les confrontant de nouveau à l’observation, en comparant, en envisageant d’autres explications. C’est aussi le projet de ce guide : un enrichissement au fil des rééditions d’observations nouvelles, communiquées par des contributrices et contributeurs selon un modèle participatif qui est cher à Abeilles en liberté.

Quelles différences avec Au trou de vol de Heinrich Storch ?

Notre guide s’inspire du petit livre précurseur Au trou de vol, de Heinrich Storch, auquel nous rendons hommage dès la préface. Toutefois, d’importantes différences sont à souligner :

  • Au trou de vol est un petit livre de 72 pages, assez austère dans la forme, pauvrement illustré avec quelques photographies qui sont la plupart du temps en noir et blanc. Notre guide se propose de faire mieux : 224 pages en quadrichromie avec de nombreuses et superbes photographies de Jean-Marie Durand, réunies dans des fiches d’observations. Valoriser la beauté du vivant est pour nous une priorité éditoriale.
  • Le livre d’Heinrich Storch est écrit par une seule personne, et propose donc une vision unique. Notre guide prend le parti inverse : c’est un travail collectif, qui permet d’offrir une vision plurielle et nuancée de l’accompagnement des abeilles.
  • Si Heinrich Storch reste avant tout apiculteur, nous revendiquons quant à nous un point de vue naturaliste privilégiant l’observation de colonies évoluant principalement dans des cavités naturelles ou des ruches refuge. C’est une différence majeure, porteuse d’un nécessaire changement de regard sur les abeilles mellifères. En modifiant notre paradigme pour le mettre au service des abeilles plutôt qu’à celui de l’apiculture de production, nous parions sur la préservation de leurs capacités d’adaptation.
  • Enfin, il s’agit d’observations prenant en compte la réalité contemporaine des abeilles mellifères soumises aux pollutions chimiques, au dérèglement climatique, aux pressions du frelon à pattes jaunes, à l’hybridation incontrôlée, etc. Un livre qui prend au sérieux la crise écologique et les menaces qui pèsent sur les abeilles mellifères natives.

Cet ouvrage s’adresse aux apiculteurs amateurs qui souhaitent comprendre les abeilles en prenant appui sur l’éthologie (l’étude du comportement), conscients que la situation écologique contemporaine n’est pas idéale, que la majeure partie de notre environnement est fortement impactée par les activités humaines et que « l’état sauvage » pur n’existe sans doute pas.

Un renouveau du lien à l’abeille

Cet ouvrage s’adresse aux apiculteurs amateurs qui souhaitent comprendre les abeilles en prenant appui sur l’éthologie (l’étude du comportement), conscients que la situation écologique contemporaine n’est pas idéale, que la majeure partie de notre environnement est fortement impactée par les activités humaines et que « l’état sauvage » pur n’existe sans doute pas. Néanmoins, prenant comme point de départ le mode de vie des abeilles mellifères à l’état sauvage (dont le succès écologique perdure depuis millions d’années) ce guide invite le lecteur et l’observateur à tisser des relations plus apaisées, plus sensibles et plus soutenables avec les abeilles pour, à terme, les accompagner autrement, voire reprendre leur autonomie

Cette approche est accessible à toutes et à tous, apiculteurs ou non. Privilégier l’observation à l’ouverture de la ruche fait partie d’un renouveau du lien à l’abeille, dans une pratique particulièrement apaisante pour l’observateur et respectueuse d’un insecte admirable mais fragilisé. C’est une occasion de développer une attitude de considération, d’attention et de curiosité face à une autre manière d’être vivant incarnée par les abeilles mellifères, attitude dont les enjeux et les bénéfices dépassent de très loin l’apiculture.

Textes de Mathieu Angot, Olivier Duprez, Henri Giorgi, David Giroux et Gilles Grosmond, sous la direction de Stéphane Bonnet. Photographies de Jean-Marie Durand. Préface de Bernard Bertrand.
Parution : 6 mai 2024 – 14,8 x 21cm (A5) – 224 pages – ISBN : 3760148060034 – Terran Magazines Éditions

16 Comments

  1. J’aime beaucoup cette phrase (exportée du présent texte, citée ci-dessous), qui met le doigt sur un point névralgique des apprentissages institutionnels en apiculture… En 2008, j’ai suivi un BP REA Apiculture dans un CFPPA en Poitou-Charentes (11 mois de formation) et si l’accent fut bien mis sur les moyens et les conditions de la production de miel particulièrement, l’idée de considérer les abeilles d’un point de vue naturaliste fut totalement absente de cette formation… Or, j’ai ensuite découvert par moi-même à quel point développer ce type de regard procurait de la joie et surtout, prévenait des dérives ‘intrusionnistes’ auxquelles l’appétit de la production amène très facilement… Bravo pour l’incitation à la culture de cette approche qui nous rend plus humain.e.s !
    « Privilégier l’observation et choisir plutôt le point de vue naturaliste que celui d’apiculteur, c’est l’opportunité de développer une attitude de considération, d’attention et de curiosité face à une autre manière d’être vivant incarnée par les abeilles mellifères. »

  2. Je suis totalement d’accord. Un livre très intéressant mais mal connu de la part des apiculteurs qui préfèrent enfumer et ouvrir. Quelle erreur. Je suis abonné à AEL un magazine excellent…

  3. « Quel beau partage de sagesse apicole ! Heinrich Storch avait décidément une vision à la fois pragmatique et empreinte de respect envers ses abeilles.
    Pouvoir jauger l’état de santé d’une colonie rien qu’en observant attentivement l’activité au trou de vol nécessite en effet une grande expérience et une connexion profonde avec ses ouvrières. Une qualité que bien peu de débutants maîtrisent. Vous qui êtes un apiculteur chevronné, nul doute que vous avez déjà acquis ce précieux sens de l’observation. Après des années à leurs côtés, vous savez décrypter le moindre frémissement à l’entrée de la ruche pour deviner le pouls de la colonie.
    C’est cette incroyable science empirique, transmise de génération en génération, qui fait toute la noblesse de notre art séculaire. Être capable de ressentir les moindres turbulences sans violer l’intimité du nid est un véritable don.
    Merci d’avoir partagé ce conseil avisé qui rappelle avec justesse que le bon apiculteur se doit d’être avant tout un observateur discret et bienveillant. Une leçon d’humilité pour nous tous !

  4. D’où l’importance de prendre le temps d’observer et d’essayer de comprendre. Très intéressant, merci 😉 Paraît il que si les abeilles disparaîtraient de notre planète, nous n’aurions que 4 à 5 ans à vivre !
    Je soutiens grandement les apiculteurs.

    • Merci Romain pour votre commentaire et votre soutien.
      On voit cette citation fréquemment mais en réalité elle est apocryphe ! Elle figurait en 1994 sur des tracts distribués par l’UNAF au cours de manifestations (justifiées) à Bruxelles notamment contre les néonicotinoïdes.

      L’origine exacte a été identifiée par un chercheur de l’Université de Yale. D’après ces recherches, c’est Ernest Fortin, apiculteur nord-américain qui en 1941 aurait publié un article dans le Canadian Bee journal faisant l’approximation suivante : « Si mes souvenirs sont exacts, c’est Albert Einstein qui aurait dit un jour : «supprimez l’abeille de la surface de la terre et au même moment vous supprimez au moins une centaine de milliers de plantes qui ne survivront pas».

      La version originale de cette information, est directement issue des travaux de Maurice Maaterlinck. Dans « La vie des abeilles » (publié en 1901), il compare les abeilles sauvages du genre Hylaus (anciennement Prosopis) avec l’abeille mellifère et revient sur notre dépendance vis-à-vis de ces insectes. « L’infortunée prosopis est à peu près à l’habitante de nos ruches ce que serait l’homme des cavernes aux heureux de nos grandes villes. Peut-être sans y prendre garde, et sans vous douter que vous aviez devant vous la vénérable aïeule à laquelle nous devons probablement la plupart de nos fleurs et de nos fruits – on estime en effet que plus de cent mille espèces de plantes disparaitraient si les abeilles ne les visitaient point – et qui sait ? notre civilisation même, car tout s’enchaîne dans ces mystères »

      • Ca, je l’ai lu. « La vie des abeilles » et aussi « l’intelligence des fleurs ». Magistral. Et là j’attends mon magnifique hors série AeL avec toute la diaspora des apiculteurs naturalistes.

  5. Sinon, un bon truc pour observer les abeilles pour le moment, c’est se mettre devant un pissenlit et attendre 🙂 Les abeilles sauvages sont également de sortie et on en voit pas mal de différentes pour le moment 🙂

  6. C’est vrai mais…
    Il ne suffit pas d’observer, il faut d’abord avoir une expérience solide qui ne s’acquiert qu’avec des visites intrusives régulières. Lire un bouquin c’est très bien mais ça ne suffit pas. C’est une bonne base mais rien ne vaut l’expérience pratique. On ne devient pas apiculteur dans une bibliothèque.
    C’est vrai qu’aujourd’hui, il me suffit d’observer pour comprendre mais la visite doit être faite pour confirmer les observations au trou de vol quand un doute survient. Ça peut être pour une activité trop faible ou au contraire trop forte. De plus ne pas oublier de comparer vos différentes ruches pour déceler celle(s) qui nécessitent une intervention en cas de retard (varroa, maladie, qualité de la reine) ou en cas d’emballement précurseur à un essaimage.

    • Bonjour Karim et merci pour votre commentaire. Cet article a pour objectif d’annoncer la sortie prochaine de notre guide, mais il ne peut pas refléter toutes les nuances que celui-ci contient, ni l’ensemble des précautions que nous prenons. Dans l’introduction de notre ouvrage, nous sommes lucides sur les limites de l’observation, en particulier dans un contexte où l’on a rendu les colonies dépendantes de nos interventions, et où beaucoup d’entre elles ont perdu en autonomie. Si vous lisez un jour ce livre, vous verrez que nous n’avons pas la prétention de proposer un mode d’emploi infaillible. Il s’agit d’un pas de côté qui vise à changer les représentations.

      Nous ne disons pas non plus que lire un livre suffit ! L’argument pourrait d’ailleurs valoir pour tous les livres que l’on trouve habituellement dans le domaine de l’apiculture et qui sont systématiquement orientés vers l’interventionnisme, comme si les abeilles mellifères étaient « déficientes » et vouées à être conduites par les humains, qui seuls sauraient prendre les bonnes décisions. Or les abeilles mellifères ont 8 millions d’années d’existence et rencontrent des problèmes graves depuis 50 ans, cherchez l’erreur…

      Nous sommes en désaccord avec vous sur ce prétendu « passage obligé » par les pratiques intrusives. Ces pratiques bousculent l’équilibre du nid, apportent le désordre qu’il faudra souvent réparer… À l’état naturel, personne n’ouvre le nid pour contrôler la ponte ou l’état sanitaire et cela a pourtant bien fonctionné pour les abeilles durant des millions d’années. Par exemple, cette idée de « qualité de la reine » n’est autre qu’un point de vue humain orienté par ses propres besoins, un point de vue de « producteur » projeté sur un ordre de nature différente et lui échappe.
      La nécessité des interventions (en particulier des pratiques contre-nature qui se banalisent en apiculture) est précisément ce que nous proposons d’une certaine façon de désapprendre. Il reste cependant un guide écrit par des apiculteurs avec des décennies de pratiques, mais qui portent sur l’abeille une regard bien éloigné de la vision véhiculée par l’apiculture dominante et ses déclinaisons.

      • je vous rejoins complètement, moi même je fait de moins en moins de visites intrusives sauf pour préparer une division future.
        Mon écrit s’adressait plus particulièrement aux jeunes apiculteurs qui manquent d’expérience et dans ce cas l’observation seule au trou de vol ne pourrait conduire qu’à des erreurs d’interprétation du comportement de l’abeille.
        Ensuite, il faut bien faire le distinguo entre les différents type d’apiculture ( loisir, production, élevage,…) qui nécessitent plus ou moins de dirigisme de ma part de l’apiculteur.
        L’ouvrage dont il est question a une renommée mondiale il n’est pas question pour moi de remettre en cause cette méthode à laquelle d’ailleurs j’adhère complètement et j’encourage chaque api à le lire ou au minimum à s’en inspirer.
        Les visites intrusives répétée sont effectivement à bannir, notamment celles qui consistent à détruire les cellules royales chaque semaine, en général quand on en est là c’est qu’on a loupé quelque chose avant.
        Ce n’est là que mon humble avis. Cdlt…

    • Merci Amandine, nous sommes particulièrement heureux d’avoir pu travailler avec le photographe naturaliste Jean-Marie Durand, notre guide lui doit beaucoup !

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